Spécial 25 ans : Grand Entretien avec Samuel Courgey
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Par Gwendal Le Ménahèze
Publié le 26 novembre 2025
« Nous devons sanctuariser les exemples pour reconstruire demain »
Samuel Courgey
Expert et formateur en performance énergétique, réhabilitation du bâti ancien et patrimonial, problématiques d'humidité dans les parois, de confort intérieur et estival, au sein de l'association Arcanne.
Il y a 25 ans naissait le magazine La Maison écologique. Où en était l'écohabitat ?
Il sortait de l'hyper-confidentialité depuis 10 ans. Les premières maisons en paille ou chanvre que j'ai faites n'étaient que pour des militants écolo avec peu de moyens. On avait des statuts bâtards, nos prestations n'étaient pas accompagnées de garanties et les techniques utilisées n'étaient pas codifiées ni référencées. Il y a 25 ans, on a vu apparaître des clients lambda, avec des budgets plus importants, qui ont permis de réaliser des maisons plus classiques.
Dans les 25 ans qui ont suivi, quels ont été les principaux tournants du secteur ?
Le Grenelle de l'environnement, en 2007, a fait infuser dans le bâtiment classique des pratiques jusque-là cantonnées à l'écoconstruction. L'arrivée d'Internet a donné accès même aux choses les plus confidentielles. Par ailleurs, le chantier expérimental de Montholier (39) a constitué un déclencheur. Il s'agissait de la première commande publique d'une maison en paille et d'une en chanvre [bâties en 2002-2003, ndlr]. Un partenariat avec la Fédération française du bâtiment, l'Ademe et le ministère du Logement a permis un important budget de Recherche et développement. Cela a généré une dynamique, qui a abouti à l'écriture de Règles professionnelles [en 2007 pour le chanvre, 2012 pour la paille, ndlr].
Cette dynamique a-t-elle été un appel d'air pour les matériaux écologiques ?
La ouate de cellulose est enfin entrée dans les mœurs générales, alors que j'ai croisé des professionnels qui la mettaient en œuvre depuis les années 1970 mais elle restait dans des milieux confinés. On croise aussi désormais la fibre de bois et d'autres isolants biosourcés dans les grandes surfaces de bricolage. Tandis que la première fois que j'ai posé de la fibre de bois il fallait la commander en Allemagne, en Allemand, et l'euro n'existait pas encore pour la payer !
Des tournants réglementaires ont-ils fait bouger les lignes ?
J'ai fait partie du petit groupe à l'origine du label BBC. Plutôt qu'attendre que les réglementations thermiques avancent à petits pas, on était persuadés qu'il fallait viser la « basse énergie », un niveau ambitieux déjà repéré par les Suisses, les Allemands et les Scandinaves. Le ministère nous a répondu qu'il prévoyait déjà de l'appliquer... à la RT2020. Je ne détaillerai pas le guet-apens qui a permis que ce label soit associé à la RT2005, donc 15 ans plus tôt ! Les exigences de la RT2012 n'atteignaient toujours pas le BBC. La RE2020 ne change pas grand-chose à la performance énergétique réglementaire, mais introduit une notion novatrice : l'impact carbone de la fabrication du bâtiment, qui incite enfin à recourir aux biosourcés.
L'aspect sanitaire a aussi été une porte d'entrée vers l'écoconstruction ?
Les premiers clients aux budgets corrects n'y venaient pas pour l'écologie, mais pour leur santé. Il y avait une perte de confiance dans les matériaux industriels. Même si elle est perfectible, l'étiquette d'émission de COV [obligatoire depuis 2013, ndlr] a amené à réduire la toxicité des matériaux. A contrario, les premières maisons « écolo » étaient chauffées aux bûches et n'avaient pas de VMC. On sait maintenant qu'il est difficile d'avoir un bâtiment performant avec un air sain sans ventilation mécanique et qu'un des éléments qui pollue le plus l'air intérieur est de chauffer au bois-bûche.
Les connaissances se sont donc affinées ?
Une révolution – encore en cours – est advenue quand on a réalisé l'intérêt d'une vraie étanchéité à l'air des bâtiments. On a constaté qu'en soignant la gestion des ponts thermiques et les détails de l'étanchéité, l'efficacité d'une isolation devient exceptionnelle ! Même si des erreurs se pratiquent encore, on a aussi beaucoup progressé dans la compréhension du concept de paroi perspirante pour que les excès de vapeur d'eau dans l'air des logements ne nuisent pas à ses matériaux. Malheureusement, la notion de capillarité, qui est aussi souvent essentielle, n'est encore connue que pour une liste limitée de matériaux.
Y a-t-il d'autres virages qu'on n'a pas bien négociés ?
Pour le chauffage, la thermodynamique offre beaucoup d'opportunités inexploitées. On a tout misé sur la pompe à chaleur basique, mais le bioclimatisme recèle un gros potentiel : la captation solaire grâce à des murs capteurs, la récupération de la chaleur qui s'accumule dans la lame d'air derrière un bardage... À l'inverse, il faut la surventiler l'été. De même en sous-toiture, il faudrait un gros écart entre la tuile et le pare-pluie pour éviter les surchauffes, ça ne coûte rien et c'est hyper efficace. On se plaint du chaud, mais commençons par mettre les maisons à l'ombre, par ces « doubles peaux » ou par la végétation. Certaines solutions sont presque trop faciles pour qu'on s'en saisisse... On a commencé à se rendre compte il y a seulement 15 ans que le confort estival est tout aussi important que celui d'hiver, sinon plus.
Les biosourcés ont-ils aussi subi des rendez-vous manqués ?
La situation est paradoxale : on dit que les biosourcés coûtent cher, mais il y en a de très peu chers ; on dit que leur bilan environnemental n'est pas toujours génial, mais il y en a dont le bilan est génial. Ce sont les matériaux les moins transformés. Pour les isolants : le vrac et la botte de paille. Mais vu qu'ils coûtent peu, ils n'intéressent pas les industriels... Les balles de céréales ont un énorme potentiel, mais sont portées par une seule personne [batirenballes.fr], car on ne va pas les vendre 100 fois ce qu'elles valent à la sortie des ateliers de décorticage. Seul le RFCP a réussi à créer une dynamique forte pour faire reconnaître la paille malgré le peu d'argent que son commerce génère. Le chanvre connaît plein d'avancées, et heureusement que les chimistes de la chaux ont été là pour trouver comment faire prendre les bétons de chanvre. Mais ce qui m'intéresse dans cette plante, ce sont la filasse et la chènevotte brutes, pas la vente de liants préformulés pour aller avec. Pourtant, le chanvre en vrac n'est toujours pas mis en avant. L'avancée de filières se fait en fonction des intérêts d'acteurs privés, qui ne correspondent pas forcément à l'intérêt collectif ou environnemental.
Nos façons d'habiter ont-elles connu des évolutions notables ?
La majorité des Français rêvent encore de maison individuelle. Par rapport à d'autres pays, on reste à la traîne mais on compte aussi désormais beaucoup de bâtiments entre la maison individuelle et le grand collectif, qui montrent qu'on peut être hyper bien logé, pour un coût moindre, avec des maisons accolées ou des petits immeubles partagés. Qu'une personne qui a de l'argent veuille habiter dans un collectif me paraissait fou il y a 25 ans. Aujourd'hui, je réfléchis à quitter ma belle maison, trop grande pour deux futurs retraités, et déménager dans un projet participatif, avec un salon commun où mutualiser les bouquins, les équipements, etc.
Comment imagines-tu l'écoconstruction dans 25 ans ?
Hélas, l'urgence n'est pas à l'écoconstruction. Nous traversons une crise politique majeure, les pays tombent l'un après l'autre dans l'escarcelle des populistes. Il est difficile de pousser à améliorer le quotidien sur un sujet technique quand des drames se vivent. Je n'ai pas la disponibilité d'esprit pour me projeter aussi loin. On rentre dans un tunnel, un Matin brun. Nous devons tout faire pour être résilients. Pas seulement par rapport à la nature, aussi par rapport aux ambiances et contraintes qui vont nous être imposées. Une fois qu'on se sera tapé dessus pendant 5, 10, 15 ans, il faudra reconstruire. Nous devons sanctuariser des références à partir desquelles nous pourrons reconstruire. Constituer une base de ressources et d'exemples qui montreront qu'en sortant des sentiers battus, on peut créer des choses intéressantes, qui fonctionnent et sont sacrément agréables.
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