Spécial 25 ans : Architectes du local et de la matière

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Publié le 26 novembre 2025

7 minutes de lecture


Comme l'écoconstruction, « le métier d’architecte évolue en permanence avec la société et ses contraintes », affirme Alice Mortamet, architecte HMONP, formée Pro-paille, artisane terre crue et membre de la coopérative parisienne et marseillaise Anatomies d'architecture (Ad’a) depuis 2021.

Pour vous, l’architecture écologique existe-t-elle ?

Un bâtiment doit être à l’image de son territoire, de ses ressources et de ses savoir-faire. Il est impossible de dire : « Nous allons faire cette technique constructive, trouvons de la terre. » Il faut penser l’inverse : « Nous avons cette terre à disposition, construisons donc ainsi. » Cela vaut pour tous les matériaux, qu’ils soient naturels ou de récupération. Cette pratique est beaucoup plus résiliente d’un point de vue écologique, mais aussi économique et de lien social sur les territoires [en termes de ressources artisanales ou de savoir-faire, par exemple, ndlr].

Aujourd’hui le bâtiment écologique reste minoritaire. Qu’est-ce qui peut freiner les architectes au moment de la conception ?

D’abord les normes qui sont importantes [résistance au feu, contraintes sismiques, caractérisation des matériaux, etc., ndlr]. Leur caractère très général est rarement adapté aux techniques et matériaux locaux comme la terre crue, la paille de riz ou le réemploi. Utiliser des matériaux locaux ou de récup demande aussi de connaître leurs contraintes constructives propres, donc de se former ou de travailler avec des personnes disposant des savoir-faire. Ajoutons qu’il est encore difficile de savoir où s’approvisionner, car les filières ne sont pas structurées, ou très peu. Enfin, la tendance est à prioriser la rémunération financière des matériaux plutôt que celle de la mise en œuvre et des savoir-faire. Or, c’est exactement l’inverse dont nous avons besoin. Dans un bâtiment écologique, les matériaux [tels que la terre, le chanvre et la paille, ndlr] peuvent ne coûter presque rien tandis que leur mise en œuvre demande plus de temps et de qualification.

Comment dépassez-vous ces obstacles ?

Chez Ad’A, nous faisons un état des lieux des ressources du territoire avant chaque projet. Mais je crois fort aussi en la structuration de micro-filières à échelle locale pour développer les pratiques. Pour valoriser les projets à fort besoin de main d’œuvre, nous encadrons des chantiers participatifs et nous accompagnons à l’autoconstruction, à la rénovation pour aller plus loin même avec des budgets restreints. Cela rend le métier plus concret, varié, convivial, donc passionnant !

Comment peut encore évoluer le métier d’architecte ?

Le changement climatique pousse de plus en plus les architectes à se poser la question de leur impact via celui du bâtiment qu’ils conçoivent. L'utilisation des outils informatiques a aussi transformé le métier. Nous dessinons de moins en moins à la main. Le métier se fait à présent devant un ordinateur. Avec les normes de plus en plus contraignantes, les permis de construire plus longs à faire, de nombreux jeunes architectes remettent en question leur métier, jugé administratif et abstrait. Ils veulent remettre la main à la pâte. Certains se forment en charpente, en construction, en maçonnerie de terre crue… Pour reconnecter leur métier au concret, être au contact de la matière. On voit aussi les nouvelles générations d’architectes aller plus régulièrement sur les chantiers, faire des chantiers participatifs… C’est une grosse évolution du métier par rapport à l'ancienne génération.

Un chantier à nous partager pour illustrer votre pratique ?

En ce moment, la coopérative travaille sur un gros projet à Fontenay-sous-Bois (94), une construction utilisant les ressources locales d'Île de France (bois de Vincennes, terre, paille, etc.). Sur ce projet nous sommes aussi encadrants  de chantier participatifs, mêlant ainsi l'ensemble des compétences de la Scop. Cela montre qu'il est possible d'utiliser les matériaux naturels locaux dans un projet urbain, ce qui n’est pas si courant, surtout en plein Paris.

Propos recueillis par Enora Soriano Keriven

Dossier2-150_LaureVoron-Asder

Les formations du bâti écologique décollent

Laure Voron, codirectrice de l’Asder et responsable de l’École du bâtiment durable, 

dépeint une évolution encourageante du secteur de la formation au bâti écologique

Même si on aimerait que cela aille plus vite, l’intérêt pour les métiers du bâtiment écologique est grandissant. Le nombre d’écoles proposant des formations longues en lien avec le bâtiment écologique est passé de 2 à 19 en vingt ans. Nous pourrions y ajouter les centres proposant des formations courtes. Il est devenu facile de se former près de chez soi et pour des certifications de plus en plus variées [chauffage, maçonnerie, etc.], d’autant que les centres de formation travaillent désormais ensemble. Par exemple, avec les écoles d’architecture de Lyon et Grenoble, Amacò (38 et 75) et les Grands Ateliers (38), nous venons de faire reconnaître deux nouvelles certifications par l’État : "Intégrer les matériaux bio et géo-sourcés dans un projet de rénovation thermique" et "Intégrer la terre crue dans un projet de construction". Ce qui nous conforte, c’est que nos étudiants sont de moins en moins "alternatifs", le sujet se démocratise. Il y a quelques semaines, nous avons même reçu pour la première fois un géant de la construction conventionnelle pour une formation aux techniques du chanvre. Pour l’avenir, il faut continuer à développer, à massifier l’offre, mais aussi faire évoluer les règlementations et les aides financières aux particuliers qui rénovent par exemple. Ce sont de vrais leviers pour inciter et accélérer la mise en place de filières. Aujourd'hui, les professionnels du secteur souffrent du fait que les politiques ne sont ni durables ni stabilisées. Les aides financières sont mises en place, arrêtées, remises en place différemment, etc. C'est un problème clairement.»

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