Ils vivent low-tech Partie 4/4 – Biogaz à la maison

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Par Maïlys Belliot

Publié le 6 avril 2023

4 minutes de lecture


Esconnets (65)

Pierlo et Sandrine cuisinent les fruits et légumes de leur micro-ferme avec du biogaz produit par fermentation de déchets verts dans un méthaniseur domestique. Il fait l’objet d’une expérimentation pour développer plus largement cette pratique.

Premier essai de remplissage de biomasse par Sandrine et Pierlo
Le méthaniseur continu doit être alimenté quotidiennement et produit du biogaz en permanence. Ici, le méthaniseur de la marque Puxin avant isolation. © PIERLO

Pour transformer leurs fruits et légumes en tartinades, confitures ou sirops, Sandrine et Pierlo utilisent beaucoup de gaz. Douze bouteilles de 13 kg de butane par an, plus exactement. Une consommation énergétique que ces défenseurs de l’autonomie tolèrent mal. Eux qui, à Esconnets (65), vivent sur leur exploitation maraîchère et arboricole dans une maison écoconstruite en paille porteuse, se chauffent avec un rocket stove ne brûlant que deux stères de bois par an, sont autonomes en eau, quasiment en électricité. Il ne manquait qu’un système de cuisson vertueux ! Quand ils découvrent, au sein de la Confédération paysanne, la méthanisation domestique pour produire à la fois du gaz et un fertilisant pour leurs cultures, ils n’hésitent pas une seconde.

Double bénéfice

En 2020, ils installent contre le mur de leur laboratoire de cuisine une sorte de serre rigide. À l’intérieur, se trouve une poche bleue 100 % étanche. Y sont digérés en anaérobie (en l'absence d'oxygène), des déchets organiques végétaux, introduits par une trappe sur le côté. Se produit alors du biogaz, un combustible composé de méthane, de dioxyde de carbone et d’une faible quantité de sulfure d’hydrogène (lire aussi la rubrique Low-tech dans La Maison écologique n°130). C’est un méthaniseur en fonctionnement dit continu. « Il faut l’alimenter tous les jours avec de la matière fraîche pour qu’il produise du gaz », précise Pierlo. Pas difficile quand on vit de la transformation des produits de la ferme. « On le nourrit d’une tonne de déchets verts par an. » Premier bénéfice : le couple a « remplacé l’équivalent de 10 bouteilles de butane sur 12 annuelles par leur biogaz ».

De l’autre côté du méthaniseur s’évacue le « digestat », c'est la part de matière non transformée en biogaz. « Il sort par un système de vases communicants et est conduit dans une tranchée de 10 m de long dans laquelle on met de la paille et des copeaux. Quand le mélange est noir, on l’épand au pied des arbres fruitiers et dans le tunnel à tomates. » Deuxième bénéfice : le digestat, chargé en azote facilement assimilable par les plantes, est un très bon fertilisant et amendement pour la terre. « On en collecte environ 1 800 l par an », estime Pierlo.

L’objet d’une expérimentation

Depuis le début, le couple d’agriculteurs est accompagné par l’association Picojoule(1). Près de Toulouse, celle-ci expérimente la production de biogaz en s’inspirant des modèles de méthaniseurs présents sur le marché pour les adapter à notre climat et nos usages. Ici, le méthaniseur porte la marque chinoise Puxin et coûte environ 1 000 €. Picojoule s’en sert de projet pilote.

En Chine rurale, la méthanisation maison est courante depuis le début du XXe siècle, car le climat subtropical lui est propice. Une bonne digestion de la biomasse demande, en effet, une température constamment comprise entre 20 et 55°C. En France, c’est plus compliqué. Pour améliorer le modèle, le Puxin est isolé : il est couvert par un appentis et entouré de paille par le bas et de liège et laine de bois par le haut. Mais il a encore besoin d’être chauffé en hiver. Dernièrement, Picojoule et Pierlo ont testé un tapis avec résistance électrique au fond de la cuve. Mais « il ne répartissait pas la chaleur de manière homogène », juge le propriétaire, qui le remplacera bientôt par un panneau solaire thermique.

En été, le méthaniseur produit en revanche beaucoup de gaz, qui n’est pas forcément utilisé le jour-même. Il a donc fallu augmenter la capacité de stockage initiale du Puxin, par l’ajout d’une citerne souple. Celle d’Esconnets est jaune vif et porte la capacité à 3 650 l, soit 24 h de cuisson à feu moyen. Pour faire des réserves, Picojoule a mis au point un système de compression du biogaz avec un compresseur de réfrigérateur. Le gaz est comprimé à 10 bars dans d’anciennes bouteilles de butane. Ces équipements-tests ont coûté environ 3 000 € à Pierlo et Sandrine qui, à terme, devraient se passer totalement de gaz fossile.

Prémâcher pour une bonne digestion

Il a aussi fallu ajouter un évier broyeur, « à l’américaine », plaisante Pierlo. « Il faut broyer finement les biodéchets avant de les insérer dans le digesteur au risque qu’ils ne se décomposent pas assez vite et encombrent les tuyaux en sortie. » Une étape qui lui « prend du temps ». Il relève que certains déchets ne sont pas à mettre dans le méthaniseur, comme les alliacées (oignons, ail…), les agrumes, l’herbe de tonte, les branchages et les résidus de culture terreux comme les pieds de champignons qui se digèrent mal et bouchent les conduits.

Outre l’accompagnement au fonctionnement, Pierlo et Sandrine ont été avertis des risques. Produire du gaz à la maison n’est pas anodin. Surpression, émission de gaz à effet de serre dans l’air en cas de défaut d’étanchéité, pollution azotée des sols en cas de mauvaise gestion du digestat, asphyxie au sulfure d’hydrogène (H2S) qui fait parler de lui depuis le scandale des algues vertes… Les experts de l’Association pour l’environnement et la sécurité en Aquitaine (Apesa) ont surveillé le projet pendant deux ans. « On a travaillé sur les normes des installations de méthanisation, les distanciations, etc.(2), mis un détecteur H2S, des soupapes de sécurité… », énumère le propriétaire. 

Ne pas négliger, enfin, l’entretien. « Les tuyaux se chargent d’humidité. Je les nettoie à l’air comprimé une fois par an. Grâce aux vannes, on peut couper le circuit à différents endroits », détaille Pierlo. Le filtre à H2S est composé de billes d’argile rouge qu’il faut aérer sur une surface ininflammable une heure par an. Ainsi bien armés et sereins, Pierlo et Sandrine sont un peu comme de nouveaux rois du biogaz, au point de vouloir en produire suffisamment pour cuisiner aussi à l’intérieur de leur maison.

1. Plus d’infos dans La Maison écologique n°130.

2. Rubrique n°2781-1 c) du régime des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

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