Une maison dans la grange

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Par Christophe Tréhet

Publié le 16 juin 2023

12 minutes de lecture


Abondant (28)

Pour éviter une nouvelle emprise au sol, Pauline et Johan ont transformé une partie de leur hangar agricole en habitation. Un choix source de gain de temps et d'argent.

Balayés par le vol des hirondelles, les abords de la ferme équestre située à Abondant (28) baignent déjà dans un franc soleil en ce début de matinée. Dans un bâtiment au sol sableux, cavaliers et che- vaux s’exercent à des figures esthétiques. Un peu plus loin, un hangar abrite du foin et du matériel. « Voilà, c’est là ! », pointe Pauline Loisy en montrant le hangar alors qu'elle est censée désigner sa maison. La jeune architecte contourne le bâtiment pour atteindre l’entrée de son logement, dont rien ne laissait deviner la présence. Voilà donc le secret de sa « Paille-house » : un rectangle discrètement intégré dans un plus grand bâtiment qui a gardé sa fonction agricole.

Diplômée de l’École nationale d’architecture de Nancy en 2014, Pauline Loisy est passionnée par le monde équestre. À tel point que, fraîchement sortie de l’école, elle fait l’acquisition, avec son compagnon artisan ferronnier Johan Jan, d’une pension pour chevaux au cœur de ce village de l’Eure-et-Loir. Mais, sur place, aucun logement n'était prévu pour les jeunes acquéreurs. « Le contrat prévoyait que l’ancienne propriétaire occuperait en viager la maison du corps de ferme », explique Pauline. En tant qu’éleveurs, le couple aurait pu solliciter un permis de construire sur l'une de ses parcelles en zone agricole, mais l’objectif était de « construire rapidement et à moindre coût ».

Leur regard se tourne alors vers l’un des hangars, uniquement ouvert sur le côté cour. « Ce bâtiment offrait une dalle et un toit, donc autant d’économies pour la construction. Son orientation ouest/sud-ouest était satisfaisante et permettait d’ouvrir l’habitation vers les prairies environnantes, à l’écart de l’activité de la ferme. » La décision est alors prise de déposer une demande pour poser le futur logement dans ce hangar(1).

Une enveloppe dans l’enveloppe

D’une surface de plus de 320 m² au sol, le hangar est investi sur près de 100 m² par une maison de la forme d’une longère, collée à la façade déjà bardée et glissée sous les fermes de la charpente. Grâce à son toit de tôle, le hangar est idéal pour accueillir, au sec et à l’abri du vent, les matériaux et le chantier.

« Inspirée par des artisans spécialistes de la préfabrication en construction paille, notre stratégie globale a consisté, d’une part, à monter au sol des éléments de murs isolés en paille et fermés afin de les assembler ensuite à la verticale. D’autre part, pour limiter les coupes, nous avons aligné les formats de chaque panneau sur ceux des matériaux usinés (panneaux pare-pluie 1 200 x 2 800 mm). Ainsi, le gain de temps était maximal », résume Pauline. Johan disposant d’un camion avec grue, cette technique s’avérait d’autant plus intéressante pour monter et assembler les éléments entre eux. Quinze caissons forment ainsi les murs extérieurs. Ils sont composés de poutres en I en bois (360 mm d’épaisseur) fermées côté extérieur par un panneau pare-pluie en fibre de bois rigide et côté intérieur par un panneau frein-vapeur (en bois de particules, de la marque Durelis Vapourblock) contreventant « pour assurer le maintien de l’ensemble au moment du levage », explique Pauline. Adepte des matériaux biosourcés et certifiée Pro-paille en 2016, elle choisit logiquement la paille, abondante aux alentours, pour isoler les modules. En juillet 2017, le camion de Johan se gare à 3 km de la ferme, dans une parcelle de blé moissonné par leur fournisseur de fourrages. Ce dernier expérimente le pressage de petites bottes pour la construction. En famille, les bottes de paille (360 x 500 x 800 mm) sont déposées à la fourche sur le plateau du véhicule.

Manutention compliquée

Si parents et amis viennent régulièrement prêter main forte, le couple s’attelle chaque soir et chaque week-end à monter les éléments. « Une fois que le premier essai réalisé a été concluant, nous avons préfabriqué un module par jour », se réjouit encore Johan, convaincu de l’intérêt d'une mise en œuvre en phase sèche. Deux formats de modules ont été conçus. Dix de 2 800 x 6 300 mm pour la façade aveugle côté hangar et cinq de 5 600 x 6 300 mm pour le côté jardin. Ce grand format évitait notamment que les baies soient positionnées à cheval sur deux caissons. « La hauteur sous le plafond existant a fortement contraint les manutentions lorsqu’il fallait lever les modules. Faute de place, on ne pouvait pas terminer le levage avec la grue, se souvient Pauline. On commençait avec le camion, puis on posait des étais et nous finissions en poussant à la force des bras. Ça a été laborieux ! »

Chaque module est vissé à la lisse basse, elle-même fixée sur la dalle existante (non isolée) en béton de ciment. Un film bitumineux placé entre les deux assure la rupture de capillarité. Dans les murs, les bottes de paille sont posées verticalement (dans l’épaisseur des poutres en I, 360 mm). Dans les modules de toit, elles sont insérées à chant dans des poutres en I plus hautes (500 mm) afin d'isoler au maximum des surchauffes sous les tôles.

Le logement de 20 x 5 m se divise en deux niveaux de 2,3 m sous plafond, de 100 m² chacun. Le plancher de l'étage est constitué de poutres en I (320 mm) qui reposent sur une muralière (une poutre support) en acier fixée dans les modules verticaux (cf. photo plus haut dans cet article).

"La hauteur sous le plafond existant a fortement contraint les manutentions à la grue."

plancher et modules verticaux © Pauline Loisy
La hauteur des panneaux varient de 2 800 à 5 600 mm. © PAULINE LOISY
Chien_20180815_143511© Pauline Loisy
© PAULINE LOISY

Rénover en zone agricole

Si la construction résidentielle  reste interdite en zone agricole, hormis pour les agriculteurs (uniquement s'ils peuvent justifier de la nécessité de résider sur place), la rénovation de bâtiment existant peut en principe s’envisager. Dans le cas où le bâtiment était à usage professionnel (agricole ou forestier), il convient d’obtenir l’accord de la commune ou de l'intercommunalité pour son « changement de destination ». Si les travaux portent sur une surface de plancher supérieure à 20 m2 (ce qui est le cas du chantier ici présenté) ou s’ils modifient la structure porteuse de la construction, il faut demander un permis de construire. Sinon, pour une simple modification de façade, déposer en mairie une déclaration préalable de travaux. « Le Plan local d'urbanisme d’Abondant favorise la densification du centre bourg. La commune nous a soutenus, d’autant qu’elle souhaite encourager les matériaux recyclables et locaux. Présenter, avant toute demande, son projet aux élus peut faciliter sa compréhension », estime Pauline.

Depuis la Loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), le code de l’urbanisme stipule que « le changement de destination est soumis, en zone agricole, à l’avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers prévue à l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, et, en zone naturelle, à l’avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ». Et que ce changement est accordé notamment à condition qu’il « ne compromet[te] pas l’activité agricole ou la qualité paysagère du site ».

Des récompenses multiples

L’habitation longiforme est largement ouverte vers l’ouest/ sud-ouest. À une petite fenêtre près, elle est totalement fermée du côté hangar et cour. L’ensemble des réseaux (électricité, plomberie, VMC double flux et aspirateur centralisé) ont logiquement pris place dans cette paroi sans menuiseries ni exposition au soleil. « Je me suis chargée de l’électricité et Johan, de la plomberie et de la ventilation. Hormis l’intervention d’un électricien pour l’obtention du certificat de conformité – le Consuel –, nous avons tout fait nous-mêmes en 18 mois, se félicite Pauline. Il fallait composer avec nos activités professionnelles, le rythme était soutenu, mais cela s’est bien passé. »

Compacte, équipée de menuiseries mixtes bois-aluminium à triple vitrage, d’un mur accumulateur en briques, d'un poêle à granulé, la maison a fait ses preuves en termes de confort thermique depuis que ses habitants s’y sont installés début 2019. Pauline et Johan n'ont ainsi dépensé que 320 kg de granulés de bois au cours de leur premier hiver et n’ont pas souffert d’une température intérieure supérieure à 24°C pendant les périodes caniculaires des deux premiers étés qu'ils y ont passés.

Avec les espaces de vie à l'étage, ses occupants peuvent s’extraire de la vie qui s'agite dans la cour de ferme et dans les pâturages. L’insertion sous le hangar s’accompagne cependant d’un inconvénient : « Lorsque le tracteur démarre dans le bâtiment, le bruit du moteur se fait entendre dans la maison ! », confie l’architecte qui fait volontiers visiter leur logis. Il a d’ailleurs été primé plusieurs fois. En 2021, la maison a été lauréate du Green solution awards (Grand prix rénovation durable). Depuis 2019, elle figure aussi au palmarès des bâtiments biosourcés d’Envirobat Centre(2).

1.Les écuries proches étant déjà raccordées à l’assainissement collectif, l’habitation a pu s’y greffer.

2.Centre régional de ressources et d’échanges sur la thématique de la construction durable.

hangar vue depuis espace activité agricole 2 - Paille-house © Christophe Trehet
©Christophe Trehet

La maison en détails

2 personnes habitent le logement - 134m² de surface habitable

  • Charpente, ossature bois, structure : 25 240 € HT, panneau pare-pluie MDF Diffusion RWH Durelis 2 800 x 119,6 x 16 mm (7,60 € HT/m2), panneau frein-vapeur particules Vapourblock Durelis 2 800 x 119,6 x 12 mm (5,83 € HT/ m2), visserie (1 267 € HT), poutre en I Steico Wall 7 m 60*39 x 500 mm pour le toit (11,02 € HT/ml, poutre en I Joist Steico 7 m 60*39 x 360 mm pour les murs (8,88 € HT/ml), poutre en I Joist Steico 7 m 60*39 x 300 mm pour le plancher intermédiaire (7,44 € HT/ml)
  • Isolation : 5 175 € HT, paille et polystyrène
  • Menuiseries : 31 992 € HT, mixtes bois-aluminium triple vitrage avec pare-soleil et brise-soleil motorisés
  • Chauffage 3062 € HT poêle à granulés CS Thermos modèle Arianna10, 10 kW avec thermostat sans fils déporté Netatmo
  • Ventilation : 6 041 € HT, VMC double flux Ideo 2-325 Ecowat (silencieux à la sortie des caissons de répartition et échangeur thermique intégré)
  • Électricité : 9 428 € HT, nouveau branchement électrique + installation du circuit dans la maison
  • Plomberie, sanitaires : 8 912 € HT, branchement eau potable indépendant + cuve récupération des eaux pluviales 10 m3 et surpresseur
  • Assainissement : branchement tout-à-l'égout sur réseau existant des écuries

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