RE2020 une révolution, vraiment ?

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Par Aurélie Cheyssial

Publié le 25 avril 2023

8 minutes de lecture


Les promesses étaient aux logements passifs ou à énergie positive. Finalement, l'habitat du futur sera "décarboné". La réglementation environnementale 2020, qui régit désormais la construction des bâtiments, n'est plus thermique mais environnementale. Et ça change la donne.

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Toutes les maisons individuelles dont le permis est déposé depuis le 1er janvier 2022 doivent respecter les principes de la RE2020.

La RE2020 est une montagne qui accouche d’une souris », constate amèrement Thierry Rieser, du bureau d’études Enertech. En 2017, l’expérimentation E+C- (pour énergie + et carbone -), un label qui caractérise les bâtiments à la fois sobres en énergie et en carbone, devait servir de point de départ à la nouvelle réglementation thermique française. Le cap semblait défini et la maison passive, capable de se passer de système de chauffage, comme la maison à énergie positive qui produit plus qu’elle consomme, faisaient largement consensus. La RE2020 a pris tout le monde par surprise. Derrière un discours auréolé de belles promesses – diminuer le bilan carbone, améliorer l’enveloppe, promouvoir les matériaux biosourcés –, la révolution tant attendue n’est finalement pas au rendez-vous.

Des attentes déçues

Première désillusion : la RE2020 n’encourage absolument pas le bâtiment à énergie positive (Bepos), expérimenté par le label E+C-. Le calcul ne prend en compte que l’énergie autoconsommée sur site. « Concrètement, si j’installe des panneaux photovoltaïques sur mon bâtiment, seuls les premiers mètres carrés posés seront valorisés, mais les panneaux supplémentaires, visant éventuellement à la consommation énergétique du quartier dans lequel j’habite, ne seront que très peu valorisés », détaille Thierry Rieser. Un revirement inconcevable pour son bureau d’études. « La France est en retard sur le développement des énergies renouvelables. Si les panneaux ne se mettent pas en toiture, alors où ? »

Photo3- Bureaux Enertech
Construction des locaux d’Enertech, premier bâtiment à avoir atteint les plus hautes exigences du label E+C-, pour un coût de 1 200 €/m2. Sa note E4C2 témoignait d’un vrai bâtiment à énergie positive et du plus haut niveau de réduction d’émissions de CO2. © ENERTECH

Petit pas vers la sobriété énergétique 

Côté consommation énergétique, la RE2020 renforce les exigences du Bbio, un indicateur qui traduit le besoin en énergie d’un bâtiment en fonction de la qualité de son isolation et de sa conception générale. La performance énergétique devrait être équivalente à ce qui était demandé par la RT2012 moins 30 %, d'après le gouverne- ment. Il est néanmoins difficile de comparer ces deux réglementations, car la définition et le périmètre de calcul ont été modifiés ! L'avancée est loin d’être négligeable, mais les professionnels tempèrent. « Il était possible d’aller beaucoup plus loin sur la sobriété énergétique, comme sur le confort d’été », estime ainsi Hugo Arnichand, d’Effinergie.

Dans les faits, la mise en place d’un nouvel indicateur, le « degré.heure » (DH), renforce la prévention de la surchauffe des bâtiments en été. « Le problème est que ce seuil d’inconfort [fixé à 1 250 DH correspondant à une période de 25 jours durant laquelle le logement serait à 30 °C le jour et 28 °C la nuit, ndlr] n’est finalement contraignant que pour les zones du sud de la France actuellement. Il aurait été pertinent d’aller plus loin sur ce critère en pré- vision de l’évolution du climat », regrette Hugo Arnichand.

"L'indicateur contre les surchauffes estivales n'est finalement contraignant que pour le sud de la France."

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La RE2020 est basée sur une évaluation de six indicateurs répondant à des exigences minimales.

Abandon des énergies fossiles 

L’un des plus gros changements apportés par la RE2020 concerne la création d'un seuil maximal d’émissions de gaz à effet de serre des consommations d’énergie. Celui-ci a pour effet d'interdire, dès 2022, dans les maisons neuves, le chauffage 100 % fossile (fioul, gaz). Une décision radicale alors qu’aujourd’hui encore les logements chauffés intégralement au gaz sont majoritaires en construction neuve. En 2025, les bâtiments collectifs seront également touchés par cette interdiction.

Alors que de nombreuses malfaçons sont régulièrement constatées (débit d’air trop fort ou trop faible), la RE2020 impose dorénavant un protocole de contrôle des systèmes de ventilation à la livraison du bâtiment. De quoi valider le bon fonctionnement des installations. « Nous l’avons mis en place dans nos labels depuis plusieurs années en construction et depuis l’année dernière en rénovation. C'est une véritable avancée, car la ventilation est un sujet primordial, à la frontière entre pérennité du bâti, confort, efficacité énergétique et qualité de l’air intérieur », se réjouit le chargé de mission du Collectif Effinergie.

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La RE2020 concerne aussi les bâtiments publics et collectifs. Ici, une école maternelle à Verneuil-sur-Vienne (87) a atteint les niveaux E4C1 : soit énergie positive et bas carbone de niveau 1, relativement accessible. © ARCHITECTE ATELIER 4 LIM –OBSERVATOIRE BBC EFFINERGIE

Empreinte carbone : boom de la maison bois et du biosourcé ?

Mais l’évolution réglementaire majeure vise une réduction de 30 % de l’impact carbone à horizon 2031, avec des paliers dégressifs en 2025 et 2028. « Pour l’instant, le calcul du bilan carbone ne va pas révolutionner le monde du biosourcé et son usage dans le bâtiment. Les seuils fixés sont prudents pour commencer et ne pénalisent aucun matériau », prévient Thierry Rieser. Le tournant est plutôt attendu pour 2028. Les seuils obligatoires, passant de 640 kg CO /m² en 2022 à 475 kg CO /m² pour les maisons individuelles, seront alors suffisamment contraignants pour imposer de fait le bois comme matériau de structure.

En construction neuve, l’impact carbone est, en effet, principalement déterminé par le gros œuvre (fondations, structure…). L’inclusion nouvelle de matériaux de second œuvre peu carbonés (isolants biosourcés, fenêtres en bois…) ne jouera donc qu’à sourcée à prévoir. Au-delà d’une légère incitation dans ce domaine, la RE2020 ne devrait pas changer drastiquement les pratiques bien ancrées des professionnels du bâtiment.

D’autant que la RE2020 fait indirectement peser de nouvelles contraintes sur les fabricants de produits. Le calcul de l’empreinte carbone se fonde en effet sur les Fiches de données environnementales et sanitaire (FDES) pour les produits de construction et les Profils environnementaux produits (PEP) pour les équipements(1). Ces documents normalisés présentent notamment les résultats de l’Analyse de cycle de vie d’un produit. Une façon d’objectiver les impacts du bâtiment, depuis l’extraction des matières premières nécessaires à la production des éléments de construction jusqu’au traitement des déchets, en passant par les émissions du transport entre chaque étape.

Vers une électrification des usages

De subtils changements avantagent désormais l’électricité. Ainsi en est-il du cœfficient de conversion de l’électricité en énergie primaire. Celui-ci permet de connaître la consommation totale d’énergie (pertes du réseau comprises). Fixé à 2,58 par la RT2012, il a été abaissé à 2,3. « 2,58 était déjà une sous-évaluation. La réalité physique en analyse de cycle de vie dépasse même 3,2 », détaille Thierry Rieser. Autre changement notable, celui des émissions de CO2 liées au chauffage électrique. Elles sont passées de 210 à 79 g CO2/kWh, niant qu’en hiver des centrales fossiles complètent la production de base nucléaire pour répondre aux pointes de demande du chauffage électrique. « Avec ces nouveaux paramètres, les exigences ne sont pas assez fortes pour que les pompes à chaleur air/air soient exclues, alors que ce ne sont pas des solutions de chauffages performantes et qu’elles sont toutes réversibles. Cela peut conduire à des consommations de climatisation même dans des bâtiments ou celle-ci n’est pas nécessaire. Nous sommes sur une politique qui vise à promouvoir les usages électriques à tout prix sous prétexte de décarboner les usages », estime Thierry Rieser.

Un passe-droit pour construire 

C'est là que le bas blesse. La réalisation d’une FDES demande du temps, de l’énergie et un investissement financier (5 000 à 15 000 € par FDES). Elle est pourtant indispensable. « Sans cette fiche, il faut utiliser des valeurs par défaut, volontairement majorées pour englober l’ensemble des produits d’une famille et ainsi inciter les professionnels à se structurer », précise Nadège Oury, de l’Alliance HQE-GBC France. Un avantage pour les produits industriels et les très grosses structures pour qui ce coût n’a qu’un impact insignifiant. Quid des filières artisanales, de l’utilisation de matériaux locaux, naturels et non industrialisés comme la terre crue, la paille, le bois ou la pierre ? « Nous avons lancé avec l’Ademe [Agence nationale de l’énergie, ndlr] un appel à accompagnement pour la réalisation de FDES et PEP collectives. Les filières terre crue et paille ont ainsi reçu une aide financière à hauteur de 50 % de l’ensemble des dépenses engagées. Un nouvel appel à accompagnement sera lancé fin 2022. »

Plusieurs FDES collectives ont déjà été réalisées par les acteurs de la filière terre et prouvent que des techniques de construction en terre crue affichent un bilan carbone entre 5 et 10 fois inférieur aux valeurs par défaut publiées par le ministère de la Transition écologique. Mais les FDES devant être renouvelées tous les cinq ans, seront- elles aussi aidées pour le renouvellement ?

Il serait finalement dommage de voir les FDES comme une nouvelle contrainte pesant sur l’économie fragile des produits biosourcés. D’autant qu’au-delà du seul impact carbone aujourd’hui pris en compte par la réglementation, elles renseignent 28 indicateurs environnementaux (consommation d’eau, déchet dangereux, consommation de matériaux rares…). Peut-être une source pour un prochain label et un nouveau palier d'actions.

1. Tous deux sont numérisés et réunis dans la base Inies : inies.fr

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Une analyse de cycle de vie se fonde sur une étude des flux entrants (ressources en fer, eau, pétrole, gaz…) et sortants (déchets, émissions gazeuses, liquide rejeté…). Pour un bâtiment neuf performant, la phase de construction représente entre 60 et 90 % de son impact carbone total. SCHÉMA AURÉLIE CHEYSSIAL

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