Maison passive : l’impact carbone en question

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Par Géraldine Houot

Publié le 3 avril 2023

8 minutes de lecture


Le label Passivhaus est très exigeant en termes de performance énergétique.  Mais il n’impose rien quant à la nature  des matériaux utilisés. En France, les biosourcés font toutefois leur entrée dans les maisons passives individuelles.

Ecole Victor Schoelcher-Passivhaus certifié, boispaille-Crédit atelier Corentin Desmichelle architecture et territoire
L’école maternelle Victor- Schoelcher d’Épinay-sur- Seine (93) fait partie des rares bâtiments certifiés Passivhaus isolés en paille. © CORENTIN DESMICHELLE

Pour être heureux, vivons sans chauffage ! Cela pourrait être l'adage des maisons passives. Basée sur le postulat que l'essentiel de la consommation d'énergie liée à la vie d'un bâtiment se joue au cours de son utilisation, cette labellisation pousse à la construction de bâtiments économes, en conservant à l'intérieur, en hiver, un maximum de calories apportées par les rayons du soleil, les occupants et les appareils.

Né en Allemagne à la fin des années 1980 et délivré par l'institut allemand Passivhaus (PHI), le label impose un besoin en chauffage (ou en froid) inférieur ou égal à 15 kWh par m2 par an, ou une puissance installée inférieure à 10 W/m², pour une température de 20°C dans toutes les pièces. Le résultat du test d'étanchéité à l'air N50, réalisé pendant et à l'issue des travaux sous 50 Pa de pression, doit être inférieur à 0,6 vol/h (l'ensemble des fuites d'air incontrôlées doit être inférieur à 0,6 fois le volume intérieur en 1 h), soit au maximum l'équivalent du volume d'une carte de crédit pour une maison d'environ 120 m².

Troisièmement, le besoin maximum en énergie primaire total (chauffage, éclairage, électroménager, informatique, etc.) est de 120 kWh/m2.an. Enfin, la proportion d’heures dans l’année où la température moyenne de chaque pièce dépasse les 25°C doit être inférieure ou égale à 10 %. « Ces critères sont ceux à respecter dans le neuf partout dans le monde pour obtenir le label. En rénovation, l'existant ayant parfois des contraintes fortes, les performances à atteindre varient en fonction des zones climatiques », explique Laurence Bonnevie, présidente de l'association La Maison passive, organisme habilité à instruire en France les dossiers de labellisation pour le PHI.

Très exigeant thermiquement, le label ne s'intéresse pas, en revanche, à la quantité d'énergie utilisée pour la construction du bâtiment. Tous les matériaux sont permis. Un positionnement qui interroge, d'autant qu'un bâtiment passif en consomme beaucoup, notamment pour l’isolation qui doit être très performante dans les murs, la toiture et au sol (25 voire 30 cm au moins dans les murs et 35 voire 40 cm pour sols et plafonds).

CRV -  maison écologique labellisée passif passivhaus- rennes bretagne- atelier quinze architecture-Crédit Joan Casanelles
Dans cette maison en ossature bois, certifiée Passivhaus et réalisée par l'agence Quinze architecture (http://quinze.archi), l'étanchéité à l'air est réalisée grâce à une finition très « serrée » de 3 à 4 cm de chaux-chanvre en parement intérieur. © JOAN CASANELLES

Le biosourcé entre en force

Avec 223 opérations de maisons individuelles (opérations comportant parfois plusieurs maisons) labellisées fin 2021 en France, les bâtiments passifs intègrent cependant souvent des matériaux biosourcés. « Quand j'ai commencé à travailler sur des projets passifs en 2009, l'usage du bois en ossature était déjà majoritaire en maison individuelle. La tendance se confirme », affirme Laurence Bonnevie (voir graphiques ci-dessous). En novembre dernier, 74 % des maisons individuelles labellisées dans l'Hexagone étaient en ossature bois. Le quart restant étant principalement construit en béton, briques ou parpaings. Les isolants sont à 61 % biosourcés pour ces mêmes maisons. En tête du podium, la ouate de cellulose (voir graphiques ci-dessous) appréciée pour ses qualités isolantes ( d’environ 0,039 W/m².K) et son déphasage allant jusqu’à 10 h (pour une densité de 60 kg/m3), contre 0,052 (pose à chant) à 0,080 W/m².K (à plat) pour les bottes de paille qui demandent dès lors des murs plus épais. « Il y a aussi un engouement croissant pour la paille depuis 2017, 2018. Lorsqu'on utilise des bottes de 36 cm d'épaisseur, il suffit de peaufiner [l'étanchéité de] l'enveloppe pour atteindre les standards du passif. Pour l’instant, seuls 2 % des opérations labellisées sont isolées en paille. C'est encore peu, mais l’intérêt pour ce matériau se voit dans tous les projets publiés et primés », assure Laurence Bonnevie. La réglementation environnementale 2020 (RE2020), applicable depuis janvier dernier dans le secteur du logement, qui prend en compte non seulement la performance thermique des bâtiments mais aussi leur bilan carbone, devrait pousser le secteur à poursuivre dans ce sens.

Une qualité qui se paye

L'utilisation d'écomatériaux pèse cependant sur le coût des bâtiments passifs, déjà plus chers que les classiques. Ils doivent en effet intégrer obligatoirement une ventilation double flux qui renouvelle l’air intérieur en le préchauffant. « Cela oblige à multiplier les éléments de fluides techniques [conduits liés entre autres à la VMC, ndlr], ce qui coûte cher, notamment dans une maison individuelle », commente Matthieu Pauletto, directeur de Mercier immobilier qui va prochainement construire 24 maisons passives en modules bois-paille sur une ZAC aménagée par un bailleur social, l'Opac du Rhône. 

Le triple vitrage est aussi en moyenne plus cher en France que le double vitrage (dans des proportions variant selon leur qualité). L'épaisseur importante d'isolant pèse enfin sur le budget, tout comme le coût de la certification (1 690 € HT pour une maison de 100 m²). La domotique n'est, en revanche, pas indispensable – et rarement utilisée. « Ces éléments jouent, mais le surcoût est surtout imputable au travail très soigneux que doivent réaliser les artisans pour respecter le critère exigeant de perméabilité à l'air. Il faut éviter les ponts thermiques et tout calfeutrer avec des adhésifs, ce qui nécessite d'être rigoureux et d’y passer plus de temps », estime Laurence Bonnevie.

Plus les bâtiments sont grands, moins le surcoût imputable au passif est important. « Le rapport surface extérieure de l’enveloppe/volume d’air intérieur se réduit et les standards sont plus faciles à atteindre », explique Corentin Desmichelle. Ce sont en général les logements collectifs (5 à 15 % de surcoût par rapport à des bâtiments conventionnels RT2012, soit en moyenne 110 à 150 €/m² en plus(1)) et les bâtiments tertiaires (0 à 10 %) qui s’en sortent le mieux. « Dans le tertiaire, être passif évite l’installation de systèmes de chauffage et de climatisation importants. Les bâtiments intègrent en outre souvent déjà une ventilation double flux », commente Laurence Bonnevie.

maison Jean-Luc Nicod 3-Crédit Jean-Luc Nicod
© JEAN-LUC NICOD

Deux maisons passives isolées en fibre de bois

Pour préparer leur retraite, Nicole et Jean-Luc Nicod (constructeur de maison ossature bois Créabois) ont investi courant 2020 dans la construction de deux maisons passives mitoyennes de 96,6 m2 au total destinées à la location à Bouverans (25). En cours de certification, le bâtiment est en ossature bois et isolation fibre de bois (34 cm pour les murs, 40 cm en toiture). Le radier est isolé avec 60 cm de Misapor (granulat de verre cellulaire issu du recyclage) et recouvert de 20 cm de béton. Le bardage est en épicéa scolyté (endommagé par un insecte, ce qui nécessite une coupe) récupéré dans les forêts du couple. Les parois intègrent au sud de grandes baies en triple vitrage, protégées l'été par une casquette et des brise-soleil à lames orientables. Le bâtiment est équipé de 6 kW de panneaux photovoltaïques (14 000 €) en autoconsommation avec vente de surplus. Chaque maison possède une ventilation double flux, avec deux bouches chauffantes de 400 W supplémentaires, un sèche-serviettes de 1 000 W et un chauffe-eau électrique. Jean-Luc estime le coût total de la construction à 2 350 € TTC/m2 (bâtiment, terrasse de 24 m2, garage de 25 m2, meubles cuisine et salle de bains, pelouse et enrobé de cour compris). « Le bâtiment a une forme compacte de cube, qui nous a permis d'arriver assez facilement aux standards passifs et de maîtriser les coûts », commente-t-il.

Une affaire de compromis

Pour les maisons individuelles, le surcoût dû au passif est plus important mais « il est très difficile à apprécier. Le coût d'une maison tient à tellement de facteurs qu'il est dur d'estimer ce qui est vraiment dû à l'atteinte des standards du passif », note Laurence Bonnevie. Il est évalué entre 5 et 20 %(2), soit en moyenne 150 à 200 €/m², avec des variations importantes en fonction de la compacité du bâtiment, du climat, de la qualité des matériaux et équipements choisis, de la taille des fenêtres. « Les maisons individuelles RT2012 non biosourcées que nous construisions avant 2022 coûtaient en général 1 100 à 1 250 € TTC /m² habitable. Pour les 24 maisons passives en modules bois-paille que nous allons construire, on compte 300 € de plus par m², soit 22 à 25 % de surcoût. Une partie est cependant imputable à ce mode de construction encore peu standardisé. Nous avons un autre projet de maisons passives vers Saint-Étienne (42) qui seront, elles, en ossature bois probablement avec un isolant à base de fibres de tissu recyclé. Je n'ai pas encore les prix au m² mais on peut tabler sur 150 € de plus qu'un projet non passif, soit un surcoût de 11 à 12 % », estime Matthieu Pauletto. « Nous arrivons en général à faire labelliser les bâtiments tertiaires. Pour les particuliers, c’est plus compliqué. On s’approche des standards du passif mais on ne va pas jusqu’au bout, le surcoût pour économiser les derniers kWh étant souvent trop important », témoigne Corentin Desmichelle.

Pour réduire les prix, Laurence Bonnevie table sur la formation et l’expérience des artisans. « Plus ils pratiqueront, plus ils seront rodés et plus leurs tarifs seront bas, prévoit-elle. Le surcoût entre bâtiments passifs et bâtiments réglementaires devrait en outre se réduire avec l'application de la RE2020 qui impose des performances thermiques plus élevées que la RT2012, mais reste tout de même peu exigeante sur l'étanchéité à l'air. » Un avis partagé par Corentin Desmichelle : « Les maisons passives auront toujours un prix plus élevé car elles sont de très haute qualité, notamment sur l’enveloppe. En fonction des envies des maîtres d'ouvrage, du contexte local, etc., il n’est pas toujours intéressant de vouloir absolument atteindre les standards du passif, mais le label a le mérite d'apporter une méthode de conception rigoureuse, précise et fiable. »

1. Étude sur 28 opérations  de construction de logements sociaux passifs : 1 575 € TTC/m2 surface habitable médian contre 1 430 €/m2 pour les logements conventionnels RT2012.

2. Étude sur 190 maisons individuelles passives : 1 729 € TTC/m2 surface habitable médian contre 1 574 €/m2 pour les maisons RT2012. Le surcoût correspond  à 6 à 9 m2 de surface habitable.

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