Luc Schuiten, l’archi végétal

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Par Lucie Tesnière

Publié le 19 juin 2023

9 minutes de lecture


Bruxelles (Belgique)

L'un des précurseurs de la création des maisons autonomes en Belgique dans les années 1970, Luc Schuiten développe aujourd’hui, en tant qu’architecte utopiste, ses projections futuristes d’une ville où la nature serait beaucoup plus présente. Rencontre.

© Luc Schuiten -Luc Schuiten dans son atelier
Luc Schuiten a quitté sa célèbre maison Orejona pour rejoindre Bruxelles et poursuivre ses travaux sur l’habitat naturel en milieu urbain. © LUC SCHUITEN

En 1977, Luc Schuiten a construit l’une des premières maisons autonomes en énergie près de Bruxelles. Il voit à l’époque les architectes retirer la végétation autour des bâtisses qu’ils érigent, pour les mettre en évidence comme des objets posés dans l’environnement. « Moi, je voulais au contraire que ma maison vive par l’environnement, raconte Luc Schuiten, que son environnement devienne sa ressource, son énergie, qu’elle trouve dans cet endroit quelque chose qui la fasse réellement vivre. » À cette époque, les premiers panneaux solaires thermiques viennent de sortir en Belgique. « J’estimais que le fait d’incorporer quelque chose d’aussi important nécessitait de revoir entièrement la façon de construire une maison », se souvient-il.

Il conçoit alors des plans intégrant 80 m2 de capteurs solaires, dont le fluide caloporteur alimente une cuve de 100 000 l au sous-sol. Le but : stocker l’énergie pour chauffer l’hiver. « L’installation de départ était coûteuse. C’est un système que je ne referais plus aujourd’hui. C’était une expérience un peu pionnière, on essayait des tas de choses. » Pour ne pas dépendre d’un système expérimental, Luc Schuiten installe aussi un poêle à bois. L’électricité, quant à elle, provenait d’une éolienne de 25 m de haut. « J’avais été voir le constructeur qui l’avait érigée à côté de son usine. Je lui avais dit : “Si vous mettez votre éolienne à côté d’une maison, on verra qu’elle fournit entièrement son électricité, ce sera bien plus démonstratif.” Il a été tout de suite d’accord. Donc je l’ai reçue et montée chez moi. »

L’éolienne avait une capacité de 2 kW. « Ce n’était pas énorme, donc on a réduit nos besoins. On fonctionnait au courant continu sur du 12 V. On a changé nos ampoules pour être sur du 12 V. Il y avait six grosses batteries de camion dans la cave. C’était suffisant pour stocker l’énergie, qu’on consommait au fur et à mesure. »

La maison, prolongation de soi-même

Pour Luc Schuiten, notre habitat est quelque chose de totalement personnel, comme un vêtement. « L’habit que nous portons se fait à notre manière de bouger et d’être. Je voulais que les gens qui viennent chez nous sans que nous soyons là aient une idée de qui nous sommes, par la personnalité de chaque chose. Les objets n’étaient donc pas achetés, ils étaient fabriqués. On vivait dans un environnement qui nous était propre et identitaire, une prolongation de nous-mêmes. » De même, l’entrée dans la maison Orejona devait susciter une émotion. Luc Schuiten refuse l’utilisation d’une simple clé dans une serrure et invente une technique particulière pour ouvrir la porte : « mettre sa main dans un gant en fourrure pour débloquer un système à secrets était quelque chose que j’aimais beaucoup. Ça avait un côté initiatique. Je l’ai aussi décrit comme un accouchement à l’envers ; on rentrait dans le ventre de la maison mère. »

La famille vit une petite dizaine d’années dans la maison, puis s’élargit. « Agrandir le lieu, ça aurait été l’abîmer. » Alors Luc décide de s’installer à Bruxelles.

Quand il regarde en arrière, il partage : « Si c’était à refaire, je m’orienterais plus vers une maison de type passif. Ça m’aurait permis d’avoir moins de besoins en chauffage, moins de capteurs solaires. Aujourd’hui, on fait très attention à l’étanchéité à l’air, cette notion n’était pas encore développée à l’époque. »

"Notre habitat est quelque chose de totalement personnel, comme un vêtement."

Quand l’autonomie arrive en ville

La réflexion autour d’une maison est fonction de son environnement, estime Luc Schuiten. « La maison Orejona était liée à la forêt qui l’entourait, aux champs autour. En ville, l’autonomie n’est plus une chose naturelle, puisqu’il y a des câbles qui fournissent les services nécessaires. Si on veut réfléchir à l’autonomie en ville, il faut plutôt penser à l’échelle d’un quartier. On peut mettre des panneaux photovoltaïques sur les immeubles, récupérer l’eau de pluie pour alimenter les toi- lettes ou l’arrosage du jardin. C’est ce que je fais dans la maison que j’occupe aujourd’hui. »

Dans sa maison actuelle, Luc Schuiten dispose d’une citerne de 10 m3 qui stocke les eaux pluviales pour les toilettes et l’arrosage du jardin. « La citerne, qui date de la création de la maison, avait été abandonnée et comblée avec des matériaux de construction. On l’a vidée, nettoyée, étanchéifiée et raccordée. » Il y a également des capteurs solaires pour l’eau chaude sanitaire. Et Luc réfléchit à acheter des panneaux photovoltaïques pour produire de l’électricité. Mais l’élément le plus particulier est la façon dont il a conçu son extérieur. « À la place du jardin, il y avait des garages et un mur de 5 m de haut. On a démoli la façade arrière de la maison pour installer une véranda. J’ai récupéré toutes les briques et les ai étalées de façon à sculpter un jardin vallonné, une sorte de promenade. » Il fait venir 20 camions de terre qu’il place au-dessus des briques. « J’ai créé un jardin excessivement bien drainé, car les briques retiennent une partie de l’humidité qui passe à travers. Résultat : tout y pousse très bien ! J’ai travaillé en économie circulaire en réutilisant le matériau que la ville produit : ses déchets de construction. »

La « cité végétale » ou ville écosystème

Luc Schuiten affirme que « l’utopie est un possible qui n’a pas encore été expérimenté ». À l’opposé des visions catastrophistes du futur, il veut donner à voir, en tant que dessinateur et architecte, le plus bel avenir possible pour la ville d’ici un siècle. « J’aime ce travail théorique. À partir du moment où on sait où on va, on peut plus facilement identifier les étapes pour y arriver. » Il se projette donc dans des villes « où il fait bon vivre, respirer, des espaces rendant toute leur place aux potagers, aux chants d’oiseaux, aux étangs, aux méandres des rivières ; bref, des zones urbaines qui pourraient incarner l’un des principes fondamentaux du vivant : la vie crée des conditions propices à la vie ». Se pose alors la question : à quoi ressemble une ville qui fonctionne comme un vaste écosystème, « c’est-à-dire comme un ensemble d’organismes vivants interconnectés, fonctionnant en économie circulaire, sans que la production de déchets nuise à l’ensemble » ?

L’architecte esquisse de multiples dessins qui abordent différents aspects de cette question et explorent des lieux variés. « Pour moi, il n’y a pas de solution mondialisée. Il n’y a que des solutions locales, qui sont fonction d’un terroir », répète-t-il à l’envi.

Ses dessins partent souvent du bâti existant. « L’idée n’est pas de raser les bâtiments, mais d’y ajouter une nouvelle peau, isolante, respirante, des toitures sur lesquelles on pourrait se promener. On retrouverait alors l’accès à l’horizon, qu’on a perdu en ville », s’enthousiasme Luc Schuiten.

Il utilise aussi le biomimétisme, un processus d’innovation qui s’inspire des formes, propriétés et fonctions du vivant. Il imagine alors des villes qui utiliseraient « le vivant comme matériau de construction ». Un habitat idéal, basé sur une structure qui aurait poussé. « Les maisons ne seraient plus conçues à partir d’arbres découpés et réduits en parallélépipèdes rectangles. On pourrait guider la croissance des arbres pour en faire des habitations aux formes plus complexes », imagine-t-il. Il préconise l’utilisation du roseau, du chanvre, de la paille, la terre, du biobéton (« le coquillage est un bio-béton, il a absorbé du CO2 au lieu d’en produire. Il est à la fois résistant, souple et élastique ») et du bioverre transparent (« qui a les caractéristiques d’une vitre, créé sans haute température et sans produit toxique ») fabriqué par les diatomées, des algues microscopiques.

"Si on veut réfléchir à l’autonomie en ville, il faut plutôt penser à l’échelle d’un quartier."

© Luc Schuiten - Le salon de la maison Orejona
Dans sa première maison, Luc Schuiten avait imaginé un intérieur où se côtoient plantes, bois et textiles naturels. © LUC SCHUITEN

La performance énergétique au service des plus démunis

En tant qu’architecte, il réfléchit aussi à la façon dont son travail se répercute sur les relations entre êtres humains.

« Dans une ville, tout le monde a sa place. Tout le monde est important. » Pour Luc, il est inacceptable que « des accidentés de la vie dorment dehors ». En coopération avec des associations psychosociales belges, il crée en 2014 l’association Archi Human, qui reloge des sans-abris.

Après consultation des associations de terrain, le besoin exprimé par les sans-abris est d’avoir des petits logements pour se retrouver. Archi Human part alors à la recherche des lieux oubliés, trop petits pour les promoteurs immobiliers. L’association identifie à Bruxelles 300 espaces résiduels appartenant aux services publics.

« J’ai voulu trouver des façons de régler le problème des sans- abris avec des méthodes de construction utilisant des matériaux durables, biosourcés. On a réfléchi à des bâtiments basse énergie, ossature bois, isolés avec de la paille, recouverts d’un bardage en bois. La commune bruxelloise d’Evere vient de donner son accord. Le but est de construire six studios de 28 à 30 m2. Il y a une toiture verte. Pour l’électricité, il y aura des panneaux solaires. Le but est que les consommations d’énergie dans ces logements soient quasi nulles. Si on ne fait pas marcher le chauffage au plus froid de l’hiver, il y aura quand même 15 °C dans les habitations. Ces personnes ne sont alors plus des sans-abris. Elles reçoivent brusquement de quoi rebondir. Et développent naturellement une relation plus apaisée à la société. »

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