Une dernière demeure écolo...
Publié le 15 mai 2023
Dans un marché funéraire juteux et peu scrupuleux, les alternatives écologiques fleurissent. Pour que l'impact de votre dernier soupir ne plombe pas celui d'une vie écoresponsable, voici la marche (funèbre) à suivre.
Article de Gwendal Le Ménahèze paru dans notre magazine n°119 (octobre-novembre 2020) et offert avec grand plaisir aux internautes de notre site Internet. Quand certains meurent, d'autres demeurent... Notre dernière demeure peut être un vrai poison pour les générations futures et la planète : pollution des sols, des nappes phréatiques, de l'air, surconsommation de matières plus ou moins naturelles et d'énergies fossiles... Mais « à toutes les étapes des funérailles, rassure Manon Moncoq, doctorante en anthropologie du funéraire et de l'environnement, il existe des alternatives écologiques applicables sans attendre que change la législation », scellée par un influent lobby. « La France est un des seuls pays où le cercueil est obligatoire pour toute inhumation ou crémation, dénonce Sabine Le Gonidec, cofondatrice de la Coopérative funéraire de Nantes. Ajoutez le statut des cendres identique à celui du corps humain, ça fait des leviers juridiques à faire sauter avant d'arriver à introduire d'autres pratiques, ne serait-ce que se faire inhumer en pleine terre dans un linceul biodégradable. Le Canada utilise des cercueils de prêt réutilisables pour les crémations. »Mon cercueil est en carton...
Le premier cercueil en carton a été homologué dès 1998. D'autres ont suivi avec les arrêtés de 2011, puis 2015. Refusés par bien des pompes funèbres et crématoriums, ils ne peuvent désormais plus être écartés(1) s'ils sont agréés et conformes à la norme NF D80-001. Inflammation trop rapide qui ne laisserait pas le temps de fermer le four, émission de flocs qui encrasseraient les conduits... « Des contre-publicités fallacieuses, tranche Michel Kawnik, président de l'Association française d'information funéraire (Afif). La même désinformation accablait les débuts de la crémation », qui depuis gagne inéluctablement des parts de marché, de 59 % en 2018 à 62 % en 2019(2). « J'ai récemment mis en ligne le rapport de l'Anses concernant notre cercueil pour mettre un terme à ces rumeurs. Ça a rassuré le crématorium de Rouen », indique Brigitte Sabatier, d'ABCrémation, qui débloquait la semaine précédente celui de Limoges.Les pompes funèbres se dégonflent de moins en moins
« Ce ne sont plus les crématoriums qui posent problème, mais les pompes funèbres, qui souvent ne proposent pas le cercueil en carton. Même quand la famille le demande, certains tentent de le refuser alors que c'est illégal, déplore Brigitte Sabatier, qui constate tout de même des commandes de la part de 1 500 pompes funèbres en un an, dans tous les départements. Un nouveau virage vient d'être franchi : des pompes funèbres font du stock, voire exposent un modèle en carton. » Ces cercueils sont fabriqués en Alsace avec du papier recyclé, des encres à l'eau et de la colle végétale, avec revêtement optionnel en éco-vinyle personnalisable. « Les poignées en coton sont faites par de jeunes adultes handicapés et le capiton en coton, par des couturières françaises », détaille Brigitte Sabatier, qui assure logistique et personnalisation dans le Gard. « On ne sait plus quoi faire du carton tellement il y en a! Pourquoi continuer à couper des arbres juste pour brûler le bois? se scandalise Martine Saussol, fondatrice d’Éco-Cerc, qui vend un cercueil en carton recyclé plaqué de 2,5 mm de bois.Pas n'importe quel bois
L'étude des SFVP précise que le bois de nos cercueils « est à 90 % en provenance de France et 10 % d’Europe. Moins d’1 % vient d’autres continents, ceux en acajou notamment. Les principales différences d’impact entre les cercueils sont donc leur poids, les accessoires, colles, teintes, capitons ». Vernis et teintes représentent chacun 14 % des impacts. Florence Bardon alerte sur l'impact psychologique pour les proches de voir le défunt posé à même le cercueil, mais « le capiton n'est pas obligatoire, souligne Gregory Nieuviarts, de la coopérative funéraire de Rennes. Nous pouvons aussi installer un drap de famille, qui fait sens et ne coûte rien ». Les grands fournisseurs proposent désormais une gamme verte ; Eco-responsable chez Bernier Probis, Naturel chez Carles... « Mais il n'existe pas encore d'Enercoop du cercueil bois, qui ne ferait que de l'écologique comme ce fournisseur d'électricité ne fournit que du renouvelable », regrette Olivier Gallet, de la coopérative girondine Syprès. « L’utilisation d’essences à croissance rapide, comme le pin ou le peuplier, permet de mieux contrôler l’impact sur la ressource forestière », indique le site Internet de Carles, qui propose des poignées bois ou corde. Si les modèles haut de gamme hydrocirés sans solvant valent leur pesant d'or, « le cercueil 100 % pin massif brut des Menuiseries ariégeoises(4) est le moins cher de notre catalogue », confie Sabine Le Gonidec.Compostons nos dépouilles
L’humusation consiste à placer le défunt dans une butte de compostage. « Les micro-organismes du sol le transforment en 12 mois en humus sain et fertile », décrit Francis Busigny, président d'une fondation qui agit en Belgique et en France pour légaliser cette pratique. Après une avancée dans la législation wallone, la Région Bruxelles Capitale a inscrit le mot humusation dans la sienne. Des tests menés par l'Université catholique de Louvain ont lieu sur des porcs et la fondation belge doit lancer ses propres tests humains en 2020. « La recherche-action est en voie de finalisation au ministère de l'Environnement wallon. On ouvrira la butte après 3 à 5 mois pour comparer la pénibilité par rapport au travail épouvantable des fossoyeurs qui exhument les corps en putréfaction dans les cimetières. Comme pour les animaux déjà testés, il n'y aura pas d'odeur désagréable vu qu'il ne restera que les os. On enlèvera les prothèses, amalgames dentaires, pacemaker, on moulinera les os et les dents avant de reformer la butte pour que la microfaune les assimile durant les mois restants. » En France, « l'intérêt citoyen est fort, mais le dossier est entre les mains du Conseil national des opérations funéraires, donc au point mort ». Un autre processus de compostage plus technologique et accéléré a été validé sur six corps humains dans l'État de Washington, où il est autorisé depuis mai 2020.
Inhumation vs crémation
Le choix du cercueil aura aussi un impact sur la suite de notre dernier voyage. En France, seuls deux choix s’offrent à nous : crémation ou inhumation. D'après l'étude des SFVP, l’inhumation émet en moyenne autant d'équivalent CO2 que 3,6 crémations. Mais les variables sont innombrables. « Une inhumation en pleine terre sans monument a un impact écologique inférieur à celui de la crémation. A contrario, une inhumation avec caveau en béton et monument souvent importé du sud-est asiatique équivaut à plus de 5 crémations ! », détaille le rapport précisant que « certains granits extraits en Afrique du Sud, au Brésil, en Norvège ou en France sont façonnés en Chine. Leur impact en gaz à effet de serre est au moins trois fois plus important que celui d’un monument extrait et façonné en France ».Se souvenir ou périr
Pour Sabine Le Gonidec, « comme pour construire une maison, l'écoresponsabilité ne tient pas qu'à un matériau, c'est un raisonnement global. Une dame envisageait qu'on vienne la chercher en corbillard jusqu'à l'île de Noirmoutier, le bilan de son cercueil en carton aurait été plombé par le transport. On conseille aussi d'habiller le défunt avec des vêtements en coton, qui se dégradent vite contrairement aux chaussures en cuir ». Pour la cérémonie comme les commémorations, bannissons les roses du Kenya, orchidées de Thaïlande et glaïeuls de Colombie qui font escale en Hollande et sont cultivées à grands renforts de pesticides(5)... « Mamie avait un beau jardin, cueillez-y des fleurs. Invitez dans l'avis d'obsèques à cueillir dans la nature des feuilles et branches en automne, des fleurs au printemps... » Olivier Gallet constate que « les tombes végétales sont de plus en plus demandées. Mais si la famille habite loin, le minéral demande moins d'entretien ; on oriente vers une entreprise bordelaise qui fabrique ses monuments localement avec du granit du Tarn, du marbre de Bretagne ». Autre alternative : « On peut acheter et faire rénover un monument d'occasion, mais ça n'intéresse pas la plupart des pompes funèbres, qui n'y gagneraient que 200-300 € au lieu de 2 000-3 000 € », pointe Florence Bardon.Un marché juteux
« Les obsèques sont un business dominé par deux groupes nationaux, OGF-PFG et Funécap, déplore Michel Kawnik. Une stratégie de tiroir-caisse maintient les familles dans l'ignorance pour qu'elles acceptent des prestations souvent inutiles, très chères, dangereuses et polluantes. Le joli intitulé “soins de présentation” cache l'aspiration du sang, de la lymphe et des gaz du corps pour y injecter 6 à 10 l de produits formolés [dangereux pour les professionnels et très polluant quand il finissent dans l'air (crémation) ou les sols et nappes phréatiques (inhumation), ndlr]. La crémation d'un corps formolé est interdite en Europe, sauf en Angleterre et en France. »Au-delà de nos frontières
En France, un corps humain ne peut disparaître que par crémation ou inhumation. D'autres pratiques se développent au-delà de nos frontières : • Dissout dans l'eau. Australie, Canada et une vingtaine d'États américains autorisent l'hydrolyse alcaline ou aquamation ou encore résomation. Le corps se liquéfie en quelques heures dans une eau chauffée, mouvante et additionnée de composants alcalins. Le liquide obtenu pourrait servir d’engrais. • Briser la glace. La promession refroidit le corps dans de l’azote liquide à -196°C qui le rend friable. Une table vibrante le réduit en poussière, ensuite lyophilisée et enterrée dans une urne biodégradable. « Une promession peut coûter jusqu'à deux fois moins cher qu'une crémation avec l'équipement le plus basique de nos trois modèles », indique Peter Mäsak, de la société suédoise Promesa Organic AB, qui a développé ce procédé breveté « déjà autorisé en Suède, Afrique du Sud, Allemagne, Islande et Australie ».
Les coopératives fleurissent
La première a vu le jour à Nantes en 2016, couplée à l'Association pour des coopératives funéraires françaises, visant leur essaimage. Travailleurs, familles clientes membres et structures de l'économie sociale et solidaire en sont collectivement propriétaires et gestionnaires. Ces pompes funèbres d'un nouveau genre fleurissent comme des chrysanthèmes à la Toussaint. Après des éclosions à Talence (33) en octobre 2019, Rennes en janvier 2020, puis Dijon en août, des projets germent à Strasbourg, Angers, Caen et Lille. À Nantes, Sabine Le Gonidec retrace : « Des fonds d'investissement profitaient de la perspective de croissance du marché funéraire du fait de la pyramide des âges pour rentabiliser les capitaux de leurs actionnaires. En découvrant les coopératives funéraires nées au Québec dans les années 1940, notre collectif de citoyens a voulu offrir des services de qualité et sur mesure à des prix justes sans que personne s'enrichisse individuellement. » L'objectif est qu'une partie de la richesse créée soit redistribuée pour des actions non lucratives, comme la sensibilisation. « Un public mieux informé a moins de risques de se faire avoir. Qu'on vende le cercueil le moins cher ou le plus cher de notre catalogue, on marge la même chose, donc on a une posture de conseil, pas de commercial. À prestations équivalentes, on a les mêmes grilles de tarification que des grands groupes, alors qu'on ne peut rien négocier.1. En cas de refus, l’article 433-21-1 du Code pénal prévoit jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende. Les familles peuvent porter plainte à la Direction départementale de la protection des populations. 2. Étude Fondation PFG en partenariat avec BVA, 2019. 3. « Analyse environnementale comparative du rite de la crémation et de l’inhumation en Île-de-France », 2017, Durapole/Verteego pour la Fondation des SFVP. 4. Membre des Artisans du funéraire. 5. Lire Funérailles écologiques, éd. Terre vivante, 2017.