Pour ses 20 ans, le magazine
La Maison écologique poursuit ses rencontres auprès de professionnels et militants de l’habitat écologique. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’échanger avec Samuel Courgey, notamment co-auteur du best-seller
L'isolation thermique écologique, mais aussi expert technique et formateur en écoconstruction et rénovation énergétique.
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Samuel, pouvez-vous expliquer votre métier et votre action autour de l’habitat écologique ?
J’ai travaillé d’abord sur chantiers. Je me suis intéressé à l’écoconstruction il y a plus de 30 ans. À l’époque, tout ce qui était intéressant se passait sur les chantiers alternatifs. J’ai par exemple participé aux premiers bâtiments utilisant des bétons de chanvre, aux premières maisons paille…
Il y a eu cette première période intéressante, d’écoconstruction sur chantiers et un peu en bureau d’études. Puis, il y a une vingtaine d’années, quand nous avons vu que le public venait aux écomatériaux, nous nous sommes dit avec des amis qu’il manquait encore de l’information. Avec
Jean Pierre Oliva nous avons donc créé l’
association Arcanne, dans laquelle je travaille toujours. Objectifs : proposer de la veille technique, de la formation auprès des professionnels et de la vulgarisation pour le grand public. Je consacre aussi toujours du temps pour militer dans le milieu associatif autour de l’écoconstruction.
Dans votre parcours professionnel, est-ce que des innovations, avancées techniques, vous ont marqués au cours de ces 20 dernières années ?
Je parlerais plutôt d’ajustements des techniques. Car les techniques dont j’ai déjà parlé ou les isolants, étaient déjà naissants il y a 20 ans. La majorité des matériaux sont apparus il y a plus de 30 ou 35 ans. Si nous sommes positifs, nous pouvons constater que des choses ont radicalement changé. Dans le domaine de la construction, il y a 20 ans, bâtiment et environnement étaient des sujets que la majorité des gens estimaient sans lien. Alors que maintenant, notamment depuis le Grenelle de l’environnement, chez les professionnels, tout le monde sait qu’il y a une relation étroite entre les problématiques environnementales dont on nous parle au quotidien, et notre façon de construire, rénover et habiter.
C’est un changement de posture important, mais qui ne signifie pas que le professionnel sait comment faire évoluer son métier au quotidien. Cela ne signifie pas que les clients veulent sortir des solutions conventionnelles. Beaucoup ne veulent pas mettre plus cher, même si la différence de qualité est avérée. Que ce soit sur l’efficacité énergétique, sur les économies de matériaux, sur les énergies renouvelables, sur la qualité de l’air intérieur, on va dans la bonne direction. Le gros problème, c’est la vitesse ! On ne va pas assez vite par rapport aux urgences environnementales.
J’en veux un peu aux politiques de ne pas s’intéresser suffisamment au bâtiment. Pourtant quand on regarde le poids du bâtiment par rapport au dérèglement climatique, à l’épuisement des ressources, à la biodiversité, c’est quand même un secteur très impactant. Prenons un sujet récent, la nouvelle RE2020. Pourquoi faut-il autant se bagarrer pour faire accepter l’analyse de cycle de vie dynamique et la
construction passive ? Pourtant le passif a montré sa pertinence. C’est une démarche européenne à soutenir. Pourquoi une réglementation nationale environnementale ne prend pas le passif comme niveau de référence ? Je suis donc un peu critique par rapport à l’incompétence, voire l’insouciance des gouvernements, des députés, des sénateurs. Ils n’ont d’ailleurs pas été capables de valider les dernières propositions de la
Convention citoyenne pour le climat.
Des choses avancent, il faut être positif. Si on prend la filière paille par exemple, il y a 20 ans avec Arcanne nous arrivions à décrocher la première commande publique de bâtiment paille et chanvre ; deux petites maisons individuelles car il n’était pas possible à l’époque d’entrevoir plus ambitieux en commande publique. Aujourd’hui ce sont des écoles, des salles de concert, des lycées, des immeubles qui sont construits en paille ! Un grand bravo à de nombreux acteurs :
le RFCP et puis à ceux qui travaillent d’arrache-pied dans l’ombre, des militants, des professionnels... Je pense notamment à
Olivier Gaujard et Hubert Fèvre, ils font tous avancer les choses. Donc cela avance mais pas assez vite.
Si on se tourne vers demain, comment voyez-vous l’habitat écologique ?
Je suis incapable de savoir à quoi ressemblera le monde de demain. Mais je sais qu’en semant, en plantant, on peut éventuellement augmenter nos chances de récolter demain. Pour nous, acteurs du bâtiment, il faut continuer à créer des références, à réussir des projets. Nous savons ce qu’il faut faire : des bâtiments au bon endroit par rapport à l’activité, à la vie des gens. On peut aussi se demande si l’habitat de demain ne sera pas plus collectif ? C’est aussi faire des bâtiments très économes. Nous savons aujourd’hui construire des bâtiments avec des matériaux qui ont très peu d’impact sur la nature. Mais l’objectif sera de faire des bâtiments plus robustes et
plus résilients. Nous savons que demain il fera plus chaud, la problématique du confort d’été doit donc aussi s’imposer.
En tant que technicien j’ai de beaux jours devant moi, mais l’intérêt pour la technique ne doit pas nous rendre aveugles aux sujets d’importance. L’avenir dépendra de notre capacité à faire société ensemble et pas au fait d'avoir un bâtiment bois-terre-paille par exemple. Par rapport à cela je cite souvent un livre d’
Edgar Morin qui s’appelle
Changeons de voie et qui nous invite à réfléchir.
Pour conclure, avez-vous un mot ou un souhait pour l’équipe de la rédaction du magazine La Maison écologique, qui fête ses 20 ans ?
Déjà bon anniversaire et un grand merci. Je pense que
La Maison écologique fait partie des acteurs qui sont coresponsables du fait que l’écoconstruction se soit si bien organisée, même si cela ne va pas assez vite. Il faut continuer à mettre en avant des projets réussis et des professionnels qui font de la qualité. Sans citer Spinoza, il faut donner envie. Je compte sur eux pour donner aux clients des envies de qualité, aux professionnels l’envie de se former et de faire de la qualité.
Le magazine a aussi une responsabilité autour de l’innovation. Moi qui suis de très près l’isolation thermique, il y a un isolant qui a un potentiel phénoménal pour demain. C’est la balle de céréales*. Nous ne pouvons que soutenir l’association
Bâtir en balles. Le magazine doit donc donner des informations sur ce que les gens essayent, sur ce qui a déjà été essayé, entre autres pour que ceux qui souhaitent innover ne partent pas d’une feuille blanche. Pour moi, c’est important de parler des innovations, de ce qui fonctionne, ou ce qui ne fonctionne pas.
Je suis assez confiant sur l’avenir de
La Maison écologique, même si la maison n’est pas un sujet d’avenir. Quand il y a eu le bicentenaire de la Révolution française, beaucoup ont regretté qu’on n’en profite pas pour changer les paroles de la Marseillaise. Peut-être qu’un anniversaire est une opportunité pour changer de nom...
La Maison écologique pourrait devenir «
habiter écologique » ? La maison met de côté les gens des villes en faisant croire que la seule façon d’être bien dans son habitacle c’est d’avoir une maison. C’est donc une invitation. Mais en tous cas, un grand merci, bravo et encore bon anniversaire !
*Dossier à venir sur les agromatériaux dans le magazine
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