On a volé la Voie lactée !
Par Thierry Salomon
Publié le 17 septembre 2024
On a volé la Voie lactée !
En 1994, Los Angeles fut frappée par un très fort séisme de magnitude 6,7. Une grande partie du réseau électrique tomba en panne, plongeant la ville dans le noir le plus complet. Cette nuit-là, l'observatoire Griffith reçut de nombreux coups de téléphone d’habitants qui s’inquiétaient d’un très étrange phénomène : le ciel était constellé sur toute sa longueur de milliers de points lumineux. Les astronomes de l’observatoire rassurèrent la population, comprenant que, pour la première fois de leur vie, nombre de leurs concitoyens découvraient la Voie lactée !
De nos jours la ronde métronome des étoiles, de 15° par heure, ne nous renseigne plus sur l’heure nocturne. Nul marin, au temps des GPS, ne fait plus le point au sextant alors que cet instrument a joué un rôle essentiel depuis son invention en 1731. Et pour la première fois dans la longue histoire de l’humanité, les étoiles ne sont plus le guide des cultures lorsque, annonçant le temps des moissons, réapparaissait à l’est juste avant l’aube la magnifique constellation d’Orion.
On estime aujourd’hui que 80 % des Terriens sont affectés par la pollution lumineuse, et une étude vient de montrer que celle-ci augmente de 9,6 % par an. Désormais enfermés dans la bulle de lumière artificielle que nous avons nous-mêmes créée, nous perdons peu à peu le lien essentiel qui nous relie au ciel nocturne, et donc la conscience de notre place réelle dans l’Univers.
La seule étoile dont nous avons une perception forte reste (de jour !) notre astre proche, le Soleil. Une étoile en fait assez banale parmi les deux à trois cent milliards d’autres qui forment la Voie lactée, notre galaxie. Et celle-ci n’a rien d’exceptionnel : on estime que l’Univers observable renferme au moins cent à trois cents milliards de galaxies. Il existerait donc de l’ordre de vingt à neuf mille milliards de milliards d’étoiles…
Un nombre aussi gigantesque donne le tournis, et ne se laisse pas facilement appréhender. Une tentative d’estimation fournit cependant une édifiante comparaison : le nombre total d’étoiles de l’Univers observable est très supérieur au nombre de tous les grains de sable de tous nos terrestres déserts, plages et rivages !
« Il est grand temps de rallumer les étoiles », écrivait Guillaume Apollinaire dans les tranchées de 1914-1918 lorsque la nuit les fumées des canons les éteignaient une à une.
Il est grand temps, car on nous a volé la Voie lactée à force d’éclairages inutiles, pollueurs et gaspilleurs. Dès lors, nous croyant toujours l’égal des dieux, nous n’avons plus du tout conscience que les étoiles sont la source de notre enveloppe terrestre ; chacun de nos atomes, du plus léger au plus lourd, a été forgé il y a des milliards d’années au cœur de formidables réactions nucléaires lors de la naissance, puis de la mort des étoiles.
Oui, il est grand temps de rallumer les étoiles. Afin qu’elles nous rappellent avec humilité, à nous les humains, notre très modeste place dans l’Univers, mortels assemblages d’immortelles poussières d’étoiles, voyageurs éphémères sur une planète accueillant miraculeusement la vie.