Leur maison voit la vie en roseau
Publié le 15 mai 2023
Surplombant les roselières de la Brière du Brossais (44), la maison de Clémence et Cédric est habillée de roseau. Isolant murs et toiture, ce végétal revêt aussi les façades. Une technique contemporaine qui plie la tradition mais ne la rompt pas.
La large baie vitrée de Clémence et Cédric domine les marais de la Brière du Brossais, parsemés de roseaux. « Quand j’ai découvert la paroi en bois et roseau de la société RizHome, ça a tout de suite fait sens », se souvient Clémence Cazenave, architecte et propriétaire de cette maison de Savenay (44) avec Cédric Bassaget, informaticien. « La pose de bottes de roseau en vêture extérieure est pratiquée depuis des années aux Pays-Bas, Suède et Norvège, décrit Mireille Avril, de RizHome. Ils ont une assurabilité et annoncent 80 ans de durée de vie. »
Clémence apprécie ce « bardage naturel qui sert d’isolant, protège de la pluie, offre une finition esthétique et des bienfaits acoustiques ». L’experte promeut l’utilisation du roseau en construction dans une « démarche d’économie circulaire à impacts positifs. En plus de l’intérêt pour le bâti, c’est une boucle vertueuse qui valorise cette biomasse tout en entretenant les roselières qui jouent un rôle important pour l’épuration des eaux rendues à la mer. Ce débouché offre aussi une évolution au savoir-faire local des chaumiers ». Coupé sec sur pied, le roseau ne nécessite aucune transformation avant utilisation.
Une filière pour les roselières
Sans intrants ni irrigation, ce végétal pousse naturellement sur terrain humide, pouvant même devenir envahissant. Il ne fait pas l’objet d’une exploitation, mais d’un simple entretien des parcelles. « Si la roselière n’est pas entretenue, la matière sèche tombe au sol, donc en modifie la structure. Le roseau peut finir par ne plus être à l’aise et d’autres espèces prennent le dessus, dont des invasives comme le baccharis. » Des marchés publics d’entretien visent à ce que le roseau soit coupé et évacué.
Non entretenus, les roseaux poussent en tous sens. Ils peuvent alors être broyés pour isoler des caissons comme ceux des murs et du toit de Cédric et Clémence. Mais de tels roseaux en vêture extérieure auraient une esthétique aléatoire et une mise en œuvre plus complexe, donc plus coûteuse. « Pour obtenir une tige fine, droite et homogène, il faut six à huit ans d’entretien de la roselière. » En Bretagne, la coupe d’entretien est très peu valorisée. Structurer une filière y est donc compliqué, mais RizHome se démène pour y parvenir. En attendant, les 1 400 bottes de ce chantier ont été acheminées de Camargue, contrairement au roseau broyé des caissons, qui vient de Bretagne.
Le roseau semble particulièrement adapté à la construction en région maritime. « Un végétal qui pousse en bord de mer et dans des milieux humides subit les embruns, les vents, les pluies. Il est habitué à ce climat », note Mireille Avril. L’obtention de données scientifiques pour valider ou non ce constat est un des axes d’un cycle de trois ans de recherches en laboratoire lancé à Lorient en 2018.
Mireille Avril Bureau d’études RizHome (56)
Mireille Avril a grandi entourée de roselières, dans le golfe du Morbihan. « Le roseau, je le voyais tous les jours. Puis après des recherches sur son utilisation dans le monde entier, le valoriser dans la construction est devenu une évidence. Il apporte une esthétique forte de naturalité ; son potentiel design et contemporain m’attire plus que l’image d’Epinal de la chaumière. » Par la suite, Elle crée en 2015 la société RizHome, basée à Vannes, pour développer un système constructif en roseau et bois « inspiré de réalisations des pays du nord de l’Europe et du Japon ». Une phase de recherche et développement caractérise le matériau et la paroi.
La maison de Clémence et Cédric est le deuxième chantier de RizHome, à la suite un bâtiment pilote de 130 m2 à Saint-Nolff (56). Pour compléter le développement de ce système constructif et l'expérimentation d’une filière symbiotique roselière-bâtiment en Bretagne, qui ne suffisent pas à pérenniser l’entreprise, Mireille accompagne aussi depuis peu des dirigeants d’entreprise dans la construction de nouveaux lieux de travail en créant des « usines-roselières ».
Un chantier expérimental
D’après des tests au Laboratoire d’ingénierie des matériaux de Bretagne(1), la vêture a une conductivité thermique de 0,056 W/m.K. En remplissage vrac, le roseau peut même atteindre 0,038 W/m.K, soit une performance thermique très intéressante. Toutefois, « cette valeur est difficilement atteignable sur chantier, précise RizHome. En respectant la densité de 60 à 90 kg/m3 pour l’atteindre, on peut subir un tassement important si la granulométrie du broyat de roseau n'est pas finement maîtrisée. Chez Clémence et Cédric, on a dû s’adapter à une granulométrie imposée par un process industriel plus rapide, mais finalement beaucoup moins adapté qu’un broyage artisanal ».
Malgré une densité plus importante, une fenêtre de vérité, puis des sondages en haut de caissons et une caméra thermique ont montré un tassement de 2 à 30 cm. Echopaille, qui a fabriqué les caissons que les propriétaires ont eux-mêmes remplis d’isolant à l’atelier, a donc insufflé de la ouate de cellulose pour combler ce vide. « C’est intéressant de participer à une phase expérimentale, estime Clémence. Nous n’avons pas assez contrôlé la qualité du roseau livré et avec le levage, le transport, les vibrations ont dû tasser l’isolant. »
Se protéger du feu
Certaines portions des façades sont revêtues d’un bardage en cèdre breton non traité. Un choix esthétique, mais aussi contraint par la technique. Mettre des bottes de roseau sur des petites hauteurs entre les fenêtres serait compliqué ; les tiges sont longues et la rangée supérieure doit de toute façon être couverte (schéma p. 18). Pour compenser l’isolation de la vêture en roseau manquante, 12 cm de fibre de bois sont ajoutés sous le bardage. « La paroi avec vêture roseau revient à 20 €/m2 de plus que celle en bois, mais avec une bien meilleure résistance thermique (8 m2.K/W contre 5,9 m2.K/W) », confie Clémence.
Aucune lame d’air n’est ménagée entre les caissons structurels et la vêture en roseau, pour qu’elle assure une fonction isolante. Cela joue aussi le rôle de retardateur de feu. « Ce type de bâtiment peut subir un incendie comme toute maison, mais le roseau est tellement comprimé que le feu a du mal à se propager », assure Mireille Avril. L’absence de lame d’air prive aussi les petites bêtes d’un espace où se faufiler. « Sans graines et composé de silice, le roseau ne les intéresse pas. Les tiges, très rigides, pourraient même les blesser. » Seuls les oiseaux peuvent y piocher quelques tiges pour faire leur nid. Il suffira donc, comme pour le chaume, d’en rajouter quand cela deviendra nécessaire.
Ne pas multiplier les couches de matériaux
Clémence ne regrette que l’accumulation de couches de matériaux industriels qui composent finalement sa maison. « Agepan(2) pour le contreventement, OSB comme frein-vapeur, adhésifs d’étanchéité partout... Et même un pare-pluie derrière le roseau car, réglementairement en France, l’Agepan ne peut pas être assuré pour les deux fonctions pare-pluie et contreventement à la fois. Mais aussi parce que le film pare-pluie ajouté protégeait l’ossature entre sa fabrication en atelier et la pose du bardage plusieurs mois après. Si on veut faire plus sobre en énergie grise, ce n’est pas ce qu’il y a de plus optimisé », résume-t-elle.
Pour favoriser la migration de la vapeur d’eau à travers la paroi, ses matériaux doivent, de l’intérieur vers l’extérieur, être de plus en plus ouverts à sa diffusion. « L’OSB est presque trop fermé, reconnaît l’architecte, mais il fallait un matériau assez solide pour supporter la pression de l’isolant et il était moins cher que la fibre de bois haute densité. » Le vide technique pour passer les réseaux côté intérieur n’a pas été isolé car la maison l’est suffisamment. Déconseillé, car cela crée un couloir de propagation du feu. Là où aucun réseau ne devait passer, le parement est donc directement plaqué sur l’OSB.
Un impact limité
Malgré cette succession de matériaux, l’impact du chantier a été limité. « On n’a utilisé que 18 m3 de béton pour 30 m3de bois et 80 m3 de roseau. » Et quitte à utiliser du béton pour la dalle, « on l’a laissé apparent, ça évite d’ajouter encore des matériaux ». Les chutes de roseau ont été intégrées aux adobes (briques de terre crue) qui captent les calories rayonnées par le poêle et les vitrages sud. La terre des adobes comme celle des enduits vient directement du terrassement. Les ultimes restes de roseau servent de paillage au potager, qui côtoie la phytoépuration. Celle-ci traite les eaux sales du logement grâce à deux bassins plantés... de Phragmites. Le même roseau que celui utilisé pour isoler et vêtir la maison.
1. Fusionné au sein de l’Institut de recherche Dupuy-de-Lôme (https://irdl.fr) 2. Panneau structurel en fibre de bois haute densité.
Pas-à-pas Vêture en roseau
Les bottes de roseau de 1,50 m sont posées en rangées successives du bas vers le haut. Elles sont d’abord maintenues par des piquets sardine plantés dans le rang précédent (1). Une fois la nouvelle rangée alignée, le chaumier visse au mur entre chaque botte des fils inox (2) qui traversent le roseau jusqu’à l’extérieur. Il plaque une barre en acier par-dessus le roseau, puis tortille les fils autour pour serrer les bottes (3). Il retire les sardines, coupe la ficelle qui entoure chaque botte, puis « coiffe » le roseau pour obtenir une surface plane (4). « Pour plus de sécurité, le nombre de fils de fixation est doublé par rapport à la couverture d’un toit en chaume, car la force de gravité est plus importante en pose verticale, explique le chaumier Philippe Luce. Compte tenu du temps de main d’œuvre, le prix moyen oscille autour de 120 €/m2. »
Détails techniques en toiture
Le haut de la vêture en roseau est couvert d’un bardage bois qui masque les fixations et protège ces seules tiges coupées exposées à l’extérieur. Les bottes étant inclinées, l’épaisseur d’isolant y est moindre, mais ainsi positionné au niveau du caisson de toiture, cela évite un pont thermique.
La maison en détails3 personnes vivent dans le logement - 110 m2 de surface de plancher
Début chantier : mars 2018
Emménagement : avril 2019
Matériaux
• Sol RDC : fondations béton, soubassement parpaing + 10 cm liège, 30 cm verre cellulaire isolant Misapor, dalle béton
• Plancher étage : Gypsolignum 13 mm, vide technique, solivage douglas 45 x 220 mm, laine de bois 60 mm, OSB 18 mm, panneau fibre de bois rigide 20 mm, Fermacell sol 2 x 10 mm, parquet contreplaqué chêne français clipsé 12 mm
• Murs : 25 cm bottes de roseau + pare-pluie ou bardage cèdre breton + liteaux + écran rigide fibre de bois 22 mm + 100 mm laine de bois dans doublage ossature bois, Agepan, ossature douglas 15 cm + roseau vrac, OSB 12 mm, vide technique douglas 60 x 45 mm, Gypsolignum + peinture (Biocryl) ou contreplaqué bouleau (tableaux fenêtres isolés en liège)
• Cloisons : douglas 60 x 45 mm + laine de bois 60 mm, Gypsolignum, peinture
• Toit : végétalisation à venir, EPDM, OSB 18 mm, douglas 45 x 70 mm + lame d’air, pare-pluie, Agepan 16 mm, poutre en I 90 x 360 mm + roseau vrac, OSB 12 mm, douglas 60 x 45 mm + laine de bois 60 mm, Gypsolignum, peinture
• Menuiseries locales Minco bois-alu, double vitrage façade sud, triple est et ouest
Équipements
• Poêle à bûche Heta 7A (4 kW) + sèche-serviette
• VMC double flux Zehnder
• Toilettes sèches à sciure + WC + phytoépuration Aquatiris
• Chauffe-eau solaire autovidangeable Helios France, appoint électrique • Part d’autoconstruction (710 h hors études) : remplissage roseau des caissons, isolation soubassements, cloisons, doublages, plafonds, revêtements (hors peinture blanche), pose cuisine, SDB, VMC et portes intérieures, mobilier, assainissement (hors terrassement), terrasse
Budget TTC
• Études (dont assainissement et géobiologie) : 2 757 €
• Terrassement, gros œuvre : 15 479 €
• Charpente et ossature bois : 46 418 €
• Couverture EPDM : 7 896 €
• Bardage et isolation roseau : 19 740 €
• Bardage et isolation bois : 15 120 €
• Isolation et étanchéité à l’air : 14 798 €
• Menuiseries extérieures : 21 382 €
• Cloisons : 3 816 €
• Bandes de plâtre et peinture : 3 800 €
• Mur en terre et enduit : 1 000 €
• Fermacell sol et parquet : 4 476 €
• Ponçage et polissage dalle : 3 239 €
• Plomberie : 5 160 €
• Électricité biocompatible : 8 400 €
• VMC double flux : 4 440 €
• Chauffe-eau solaire : 5 544 €
• Poêle + conduit : 5 224 €
• Escalier : 4 000 €
• Cuisine : 9 000 €
• Terrasse : 2 500 €
• Assainissement : 4 428 €
coût total (hors études et carport) – 215 920 € TTC soit 1 963 €/m2
Reportage et photos de Gwendal Le Ménahèze et infographie de Caz'eco, paru en version complète dans notre magazine n°118.
Carnet d'adresses :
- Bois-Paille ingénierie Bureau d'études structure - Nantes (44) Tél. 06 02 35 06 95
- Clémence Cazenave - Atelier CAZ’éco Architecte - Savenay (44) Tél. 06 19 77 62 68 cazenave.architecte@ntymail.com
- Cuisine O Cuisines écologiques en kit - La Haie-Fouassière (44) Tél. 06 64 95 46 59
- Équipe ingénierie Bureau d'études thermiques Passif - Cugand (85) Tél. 02 41 55 35 21
- Mireille Avril - RizHome Bureau d'études design et recherche matériau roseau - Vannes (56) Tél. 06 23 93 69 76 rizhome@rizhome.fr
- Philippe Luce - Chaumières du golfe Chaumier - Marzan (56) Tél. 06 12 28 07 80
- Scierie des cèdres Bardage en cèdre breton - Locmaria-Grand-Champ (56) Tél. 06 71 62 60 41
- Scop Échopaille Constructeur bois-paille - Questembert (56) Tél. 02 97 67 59 05