Les 13 commandements d'un chantier serein
Par Gwendal Le Ménahèze
Publié le 1 novembre 2022
Autoconstruire est une sacrée aventure. Pour qu'elle ne se transforme pas en épreuve, voire en cauchemar, voici les conseils tirés de nombreux retours d’expériences pour faire rimer chantier avec sérénité.
La fleur au fusil tu ne partiras pas
Soyez conscient de ce qui vous attend, sans sous-estimer la charge, ni surestimer vos capacités (travailler soirs, week-ends...). Il y aura des moments de doute, de fatigue, de stress. Pour se rendre compte de la réalité d'une autoconstruction, rencontrez, discutez, lisez...
Au plus près du chantier tu habiteras
Pendant qu'Adeline et Nicolas (22) bâtissaient la maisonnette de 15 m2 où habiter durant le futur « vrai chantier », « il fallait encore plus anticiper, transporter le matériel... On ne se déplaçait pas pour une soirée. En habitant sur place, c'est aussi plus simple de réceptionner les livraisons. Sans la pression d'un double loyer, on a pu finir les travaux avant d'emménager et faire des pauses pour préserver notre corps et notre couple ». D'autres installent une caravane, une yourte, ou un mobil-home comme Martin (42) : « Notre bébé venait de naître. Je ne serais pas rentré dans notre location à 15 km pour manger avec eux le midi. En vivant sur place, on se retrouvait plus souvent. » Revers de la médaille pour Ben et Lola : « On ne décroche jamais, le chantier est là, il t'appelle. Mais si ça évite un quart d'heure de voiture tous les jours, sur quatre ans, ça économise pas mal de gazole ! Et même quand tu as des enfants, tu peux y aller 1 h par-ci ou 3 h pendant la sieste. » Mais Amélie (33) préférait « pouvoir rentrer au chaud, me doucher, ne pas trouver mes enfants couverts de boue. Notre plan de financement global permettait de nous accorder un an de location ».
Le confort du lieu de vie provisoire tu ne négligeras point
Morgan (29) a protégé son mobil-home sous le futur carport, y a ajouté une isolation en paille et un poêle pour obtenir « 40 m2 confortables ». Le chantier pèse moins sur le quotidien quand le lieu de vie est entretenu, praticable et pratique. Sa surface étant réduite, vous passerez du temps dehors ; aménagez une terrasse « hors boue », une pergola, agrémentez de quelques fleurs... Stéphanie et Julien (44) investissaient une caravane sur leur terrain l'été, mais louaient à 20 min le reste du temps. « Tu es moins efficace, mais tu rentres dans un endroit propre et tu coupes du chantier. »
Tes nouveaux voisins tu ménageras
Expliquez à vos voisins votre projet et sa durée prévue, demandez si le bruit ne les dérange pas, adaptez vos travaux aux siestes de leurs enfants, etc. Vérifiez si un arrêté municipal (ou règlement de copropriété) restreint le bricolage certains jours. Prévenez si vous entamez une phase bruyante pour plusieurs jours. Prenez leurs contraintes en compte, ils seront plus à même de considérer les vôtres. Un lien privilégié deviendra peut-être une source de coups de mains, prêt de matériel, garde d'enfants...
" Si les futurs autoconstructeurs arrivent à dépasser le regard extérieur, la pression sociale et familiale, les « vous êtes fous », alors c'est gagné, ils peuvent se lancer", Christophe Billant, artisan accompagnateur
Tes limites tu respecteras
« Si à chaque fois tu te mets en difficulté à repousser tes limites, pas sûre que tu arrives au bout, souligne Amélie. On s'est fait accompagner par des pros sur ce qu'on sentait moins. » Adaptez vos choix à vos compétences, aux travaux qui vous attirent ou vous rebutent, à votre capacité à travailler en équipe, voire à diriger des bénévoles (organisation, pédagogie, lâcher-prise...). Julien et Stéphanie ont œuvré autant l'un que l'autre sur le gros œuvre. Mais « les enduits, je n'arrivais pas à les faire droits, j'ai laissé Julien s'en charger. Par contre, j'ai appliqué toutes les peintures. Il faut accepter qu'on n'est pas bon partout, et s'accorder l'un et l'autre ».
Ouvert tu resteras mais tes décisions tu assumeras
Restez à l'écoute des conseils et critiques... constructives. Puis, il faut savoir faire des choix. « Il n'existe jamais une seule bonne manière de faire » et l'on peut finir par « être perdu dans la jungle des informations », prévient le coach en travaux Dirk Kober. « Amis, parents, tout le monde sait que l'autoconstructeur n'est pas professionnel, donc tous donnent leur avis. Avec la meilleure intention, mais ça embrouille la tête. » Sachez reconnaître quand vous disposez de quoi vous faire votre propre avis et trancher selon vos goût, budget, disponibilité, capacité...
T'entourer tu sauras
Amie artisane, tonton bricoleur, association d'autoconstructeurs sont sources de coups de mains ou de bons conseils. Mais attention à bien estimer leurs compétences et disponibilité dans la durée. « Là où on était le moins sereins, c'est quand on avait beaucoup de questions sans réponses, se souviennent Adeline et Nicolas. Comment dimensionner des plots pour supporter la maison, dessiner une charpente ? Sur ces questions primordiales, c'est important d'être accompagné de pros. » Ils peuvent aussi aider dans la mise en œuvre en vous transmettant leur savoir-faire. En groupant leur projet avec deux autres familles, Antonin et Sandra ont pu « échanger sur les techniques, les fournisseurs, acheter des outils en commun, économiser grâce à des commandes groupées... ».
À relativiser et garder ton sang-froid tu veilleras
Retard de livraison, écart entre théorie et pratique, bousculement du calendrier... Gérer calmement les imprévus préserve de l'épuisement et facilite la réflexion pour trouver des solutions. « Il faut s'attendre à faire des erreurs, mais rien n'est irréparable », tranche Gilles, autoconstructeur à Teulat (81). Ne perdez pas confiance, « ça fait partie du jeu » et vous n'êtes pas moins capable que les milliards d'humains qui ont déjà bâti leur logis !
Ton corps tu préserveras
« Physiquement, c'est éprouvant. Je me suis retrouvé chez l'ostéo plusieurs fois », se rappelle Étienne (69). « On aurait dû se préparer, ajoute Amélie. Pendant les trois mois de fondations, mon compagnon rentrait et disait "je me douche, je mange, je dors ". S'échauffer chaque matin prévient les blessures et porte la dynamique du groupe. » Pour tenir dans la durée, pas de journées de 10 h. La fatigue entraîne des erreurs, donc du temps perdu. Quand ils sentaient que « le chantier prenait trop de place », Stéphanie et Julien recommençaient à « voir les copains, aller au resto. Au bout de 2,5 ans, on n'avait plus envie de travaux. Tant pis, on y allait moins, quitte à mettre plus de temps que prévu. Et la motivation est revenue ».
Emménager trop vite tu éviteras
Succomber à l'inévitable tentation d'emménager avant la fin des travaux est le regret de bon nombre d'autoconstructeurs. Il faut adapter le chantier aux occupants (réveil...) et « tu vis dans la poussière, tu ne trouves pas tes affaires, se souvient Amélie. On a vécu un an avec des rideaux en guise de cloisons et des cartons sur le hérisson de cailloux ». Après un hiver en mobil-home et 200 € de chauffage par mois, Clémence et Martin ont « réorganisé le chantier pour habiter une partie de la maison, bien séparée des travaux ». Stéphanie et Julien ont attendu que « quasiment tout soit fini à l'intérieur ». Malgré cela, « il reste encore des plinthes non posées six ans plus tard ! ». Il est fréquent que des finitions ne soient jamais réalisées, alors que ce sont elles qu'on voit au quotidien. « Une fois installés, j'ai complètement relâché », reconnaît Étienne. Pour autant, Chloé et Florent ont déposé le préavis pour quitter leur location, car « sans date butoir, les travaux peuvent durer éternellement. La fin a été stressante, mon père a fini les peintures la veille du déménagement et à chaque fois qu'il entre dans la pièce, il dit que c'est mal fait ! ».
" Pour que l'un puisse être à fond dans le chantier, il faut que l'autre soit sur le reste ; suivi du budget, courses, toute la logistique. C'est le travail de l'ombre, mais tout aussi important", Adeline et Nicolas
De communiquer tu ne cesseras
« Je rentrais épuisé et ma compagne avait passé la soirée à garder les enfants, c'est aussi usant. On a parfois du mal à comprendre la fatigue de l'autre, ça crée des tensions. Mais on a su en discuter », note Étienne. « Il est essentiel de définir dès le départ le rôle de chacun pour ne pas créer de frustrations, même s'il faut garder de la souplesse pour venir en aide à l'autre en cas de besoin, confirme Amélie. Faire un point au moins une fois par semaine nous a aidés à mieux avancer. » Avant d'accueillir un bénévole, elle lui téléphonait pour « vérifier l'adéquation de nos motivations, des conditions d'accueil... Et il faut vite désamorcer la situation si quelqu'un nuit à la dynamique du groupe ».
À anticiper tu t'astreindras
« Ne minimisez pas les temps de préparation, prévient Adeline. Il faut anticiper la commande des matériaux et quand on fait la dalle, savoir déjà où passeront les réseaux d'eau et d'électricité. » Son compagnon « passait beaucoup de temps à faire des plans d'exécution pour que le jour où on arrive à cette étape, on sache exactement les débits de bois, le matériel dont on avait besoin, pour ne pas aller au magasin toutes les heures ». À l'inverse, Martin et Clémence « avançai[ent] pas à pas. On a dessiné les cloisons au fur et à mesure. C'était le fonctionnement de Martin. Moi, j'aurais tendance à vouloir tout prévoir, donc à ne jamais me lancer ».
Tout ce que tu viens de lire tu oublieras
Aucun de ces commandements n'est gravé dans le marbre, ce ne sont que des conseils issus de nombreux retours d'expériences. Sans les occulter totalement, restez conscients que ces paroles ne sont pas sacrées. Elles sont à mettre dans votre balance pour trouver votre propre équilibre selon vos contraintes, affinités, manières d'être et de faire.