Le VRAI / FAUX de l'autoconstruction
Par Gwendal Le Ménahèze
Publié le 1 novembre 2022
Qu'ils viennent des autoconstructeurs eux-mêmes ou de leur entourage, l'autoconstruction fourmille d'a priori. Pour se lancer en connaissance de cause et savoir répondre aux discours extérieurs, démêlons le vrai du faux.
Un chantier en autoconstruction dure des années
>> VRAI << L'autoconstruction est soumise à une équation à trois variables, qui ne se conjuguent que deux par deux, jamais toutes ensemble : construire pas cher, vite, de qualité. Si vous avez du temps, vous aurez donc besoin de moins d’argent pour bâtir un logement performant. Le temps est la principale variable d'ajustement, les autoconstructeurs disposant en général d'un budget limité et souhaitant un habitat qualitatif puisque ce sont eux qui y vivront. Mais tout dépend des autoconstructeurs, de leurs compétences, leur emploi, la main d'œuvre sollicitée ou non, du bâtiment (taille, matériaux, performances...). Bien que rares, certains bouclent le chantier en un an. Mais les retours d'expériences publiés par La Maison écologique durant plus de 20 ans montrent une moyenne de 32 mois, variant entre 12 et 84 mois.
Il faut être bricoleur dans l'âme pour autoconstruire
>> FAUX << « Je ne me pensais pas capable de ça, j'étais prof de théâtre, citadine, et je me suis retrouvée à manier la visseuse et la circulaire pendant quatre ans ; ces choses qui me faisaient carrément flipper avant, s'amuse Lola, qui a autoconstruit sa maison en Ariège. J'en ressors avec pas mal de connaissances et de confiance en moi. J'ai découvert qu'avec du temps et de l'envie, tout est à ma portée ! » Il suffit souvent de se former ou se faire accompagner.
Un bâtiment autoconstruit est de moins bonne qualité que bâti par des professionnels
>> FAUX << Faire appel à des pros n'est pas une garantie absolue de qualité. Il est parfois difficile de démasquer un artisan manquant de sérieux, une entreprise en faillite... Et il n'est « pas toujours simple de trouver des artisans qui vont sortir de leurs habitudes pour s'adapter à nos envies et besoins. J'ai préféré faire moi-même pour mieux maîtriser le projet », note Étienne, autoconstructeur en Rhône-Alpes. Propriétaire et occupant du bâti que l'on construit, on est aussi moins enclin à en négliger la qualité. Pour Raphaël Soulier, coprésident de la Fédac(1), l'autoconstruction donne même accès à du « très haut de gamme, en termes d'esthétique et de performance, qu'on n'aurait pas les moyens financiers de se payer ». Le coût réduit grâce à l'autoconstruction « nous a permis de mettre le paquet sur l'isolation, la finition du plancher, les ouvertures », confient Marion et David. Et si Antonin a rencontré « des petites tuiles au niveau des fenêtres, car je ne m'y étais pas très bien pris, j'ai pu y remédier facilement, car en ayant fait moi-même ma maison, j'en connais les moindres détails ».
" Bâtir par nous-mêmes, c'était s'engager vers plus d'autonomie, moins de consommation, moins de temps consacré au travail, pour retrouver plus de sens. Avec une dépendance bancaire la plus limitée possible." Adeline et Nicolas (22)
Autoconstruire coûte moins cher
>> VRAI << La facture d'un artisan compte environ deux tiers de main d'œuvre. Le prix d'une autoconstruction n'est pas pour autant divisée par trois. Le manque d'expérience induit plus de temps pour la même tâche, des erreurs qui ont un coût... Et les autoconstructeurs bénéficient rarement des tarifs pros sur les matériaux. Alors que les maisons écologiques clés en mains avoisinent plus les 1 800 €/m2 que les 1 523 €/m2 de la moyenne française(2), le budget moyen des maisons autoconstruites présentées dans La Maison écologique depuis plus de 20 ans est de 980 €/m², oscillant entre 300 et 1 827 €/m2. « Il faut une vision globale, nuance l'accompagnateur Christophe Billant. Oui, c'est moins cher... si tu ne comptes pas ton temps de travail. Mais tu arrêtes ou réduis peut-être une activité professionnelle pour faire ton chantier », induisant une perte de revenus. Les matériaux constituant l'essentiel du budget d'une autoconstruction, leurs actuelles pénuries et hausses de prix changent aussi la donne. Cet impact est réduit « si tu utilises de la récup, la terre de ton jardin, et pourquoi ne pas faire pousser ton chanvre pour l'isolation ou contacter un agriculteur du coin ? ».
Une maison autoconstruite est impossible à vendre ensuite
>> FAUX << « Tant que l'autoconstructeur garde la construction dix ans après l'achèvement, cela ne pose aucun souci en termes assurantiels, rassure le maître d'œuvre Christophe Benoit (85). Mais s'il vend avant, il porte en ses nom et fonds propres les désordres structurels qui pourraient intervenir avant la fin de ce délai. » N'oubliez donc pas de déclarer officiellement l'achèvement des travaux. Mais Éric Tortereau, coprésident de l'association, note que « les Castors accompagnent en permanence 600 chantiers d’autoconstruction et on n’a jamais eu de retours concernant des sinistres ».
L'autoconstruction brise des couples
>> VRAI << « L'autoconstruction, c'est un cas de séparation sur deux ou trois, prévient l'accompagnateur Cédric Maury (49), qui a pu le confirmer en recontactant d'anciens clients à même de témoigner dans ce hors-série. Je les alerte pourtant d'emblée. » Étienne l'a aussi constaté, mais nuance : « Certains divorceraient même sans chantier, mais c'est effectivement une grosse charge mentale et une fatigue physique qui peuvent mener les organismes à bout ou tendre le relationnel. » Autoconstructeurs en Isère, Marjolaine et Mehdi estiment que « la vraie difficulté de l'autoconstruction est plus psychologique que technique ». En couple, « il faut être très à l'écoute de son partenaire. Tous deux manuels, on a décidé d'être interchangeables sur presque tous les postes. Y compris la gestion des enfants et l'intendance, un rôle sous-estimé alors qu'aussi fatigant que la construction ». À l'inverse, Morgan et Laëtitia ont « géré chacun nos tâches selon nos domaines de compétences, car on a des tempéraments forts ». Adeline et Nicolas conseillent de « limiter les pressions de temps ou d'argent, qui génèrent du stress, donc de l'énervement. Ça peut abîmer un couple. Il faut vite repérer quand c'est le moment de faire une pause dans les travaux. Et surtout, communiquer ». Ben et Lola abondent : « Il faut être à l'écoute de sa fatigue et que l'autre soit en capacité de l'entendre, car on n'est pas toujours au même rythme. On s'est forcé à partir changer d'air, ne serait-ce que deux jours. Des amis se séparent parce qu'ils ont trop tiré sur la corde en travaillant la journée puis sur le chantier soirs et week-ends. Est-il plus important de finir vite ta baraque ou de rester amoureux pour y habiter comme prévu ? » Ces précautions donneront toutes les chances de terminer votre nid en roucoulant comme des tourtereaux. Pour Amélie et Philippe, « ça nous a encore plus unis et confirmé pourquoi on s'était choisis ». Tout comme Lola et Ben, « ressortis plus forts de cette expérience à deux. Ça nous a créé un truc commun hyper costaud ».
Pour autoconstruire, il faut être en bonne condition physique et dans la fleur de l'âge
>> FAUX << Neuf mois durant, Pierre, 72 ans, a passé 12 h par jour à bâtir sa maison dans la Drôme. « Il a un tel mental, un tel optimisme... Tôt le matin, il partait travailler avec un enthousiasme qui ne l'a jamais quitté », nous confiait sa femme Annie dans LME n°107. Dans le Var, cinq couples se sont regroupés pour ériger leurs maisons. « On a réalisé tout le gros œuvre ensemble, nous avons entre 57 et 79 ans et nos hommes sont plutôt dans la tranche haute ! rigole Marie. On a bricolé des systèmes pour faciliter la manutention, acheté un chariot élévateur. Nous sommes juste moins rapides que les jeunes. Mais eux ont d'autres problématiques ; préserver la vie de famille, avoir du temps pour les enfants... » Raphaël Soulier signale que « des études ont montré une difficulté à mobiliser des femmes seules à cause d'une plus forte appréhension, un manque de confiance en leurs capacités dans ce domaine. Mais en général, ceux qui ont peur de ne pas y arriver se trompent ». Toutefois, ne pas négliger les efforts à fournir. « À chaque étape, il faut s’adapter, apprendre un nouveau métier. Le boulot de maçon, c’est dur, bruyant, ça mouille, il faut se dépêcher, on ne peut pas s’arrêter quand on en a marre pour reprendre le lendemain. Pour faire la dalle, avec huit copains, on a porté 200 ou 300 sacs de ciment en un jour, des brouettes de sable... On était tous ruinés de fatigue le soir », se souvient Philippe (39).
Bâtir soi-même son logement, c'est tirer un trait sur sa vie sociale
>> FAUX << « On n’est pas partis en vacances, je pensais maison, rêvais maison », se souvient Philippe. « Durant les deux premières années, on n'a plus eu de vie sociale, on passait les week-ends sur le chantier pour qu'il avance vite, retracent Clémence et Martin. Puis on s'est accordé une semaine de vacances. D'autres préfèrent mettre six ans pour faire leur maison et continuer à vivre socialement. » Chloé en avait « marre de ne plus faire aucune sortie culturelle. Heureusement, des amis sont venus aider aux travaux, ce qui nous a permis de nous voir ». Pour Adeline, le chantier a créé « un lien avec ce nouveau territoire en nous faisant rencontrer des artisans, des voisins, qui sont devenus des amis ». L'aventure peut tout à fait être collective, comme dans les projets d'habitat groupé Ecocum (29), la Cie Rit (35), le Bois de Brindille (83)... D'autres autoconstructeurs s'associent : « À deux, il est possible de réaliser des travaux que l’on ne ferait pas seul. Sans parler de l’émulation », s'enthousiasme Jean-Baptiste, qui a jonglé entre son chantier et ceux de deux autres autoconstructeurs selon un troc de temps.
Impossible d'autoconstruire une maison tout en ayant un emploi
>> FAUX << Tout est affaire de connaissance de soi et de choix adaptés à ses envies et contraintes. Pierre-Yves a conservé son activité d'agriculteur tout en travaillant sur ses travaux quatre jours par semaine, le moins possible pendant les week-ends et vacances. Il se levait tôt pour assurer ses responsabilités à la ferme et s'atteler au chantier à 8 h. Principaux travaux à peine achevés, il a été hospitalisé pour une sévère crise d'angoisse. « J'ai découvert mes limites physiques. » À refaire, il prendrait deux ans de congés sabbatiques pour construire sereinement. Certains emplois permettent de moduler ses horaires, mais la solution la plus fréquente est le temps partiel, éventuellement conjugué avec du congé sans solde, un cumul de RTT, etc. « Je gagne moins d'argent pendant cette période, mais j'en dépense aussi moins en faisant moi-même », illustre Antonin.
Les maisons autoconstruites ont une esthétique architecturale trop simple
>> FAUX << On leur reproche souvent d'être basiques. La simplicité facilite effectivement souvent les travaux. Mais qui ne s'est jamais extasié devant l'originalité d'un Earthship, d'un dôme ou zome, de maisons rondes, octogonales, en forme de coquille ou de bateau renversé ? On trouve aussi des maisons moins atypiques mais très contemporaines, avec décrochés de volumes, vérandas bioclimatiques, etc. Tout est encore affaire d'équilibre entre compétences, finances, temps disponible, contraintes urbanistiques...
1. Fédération des accompagnateurs à l’autoproduction et à l’entraide dans le bâtiment.
2. Source : SDES, Enquête sur le prix des terrains à bâtir, 2020.