La maison aux mille et une vies
Publié le 15 mai 2023
Pour restaurer leur maison en pays gascon, Elisabeth et Loïc n'ont utilisé presque que des matériaux naturels, locaux et parfois chargés d'histoire(s). Bienvenue dans un lieu aux multiples passés.
Il paraît que les chats ont sept vies. Difficile de savoir combien en a eu la maison qu'Elisabeth et Loïc ont restaurée dans le Gers. Ni combien elle en aura encore, puisqu'elle est presque entièrement biodégradable. La partie centrale du bâtiment date de 1797. Mais un bois de colombage gravé à l'extérieur révèle qu'une extension a été réalisée en 1813. « Cette maison aurait été construite avec les restes d'une métairie d'une ferme voisine qui avait brûlé, explique Loïc. Ici, c'est ce qu'on appelle une borde, la maison des ouvriers. Elle mesurait à peine 100 m2 au sol, dont une étable pour mettre un ou deux animaux. » Voilà pour les trois premières vies – au moins.
Le chantier démarre en 2004. « Pour que ce soit bien fait, il faut prendre le temps, c'est tout le problème de la construction aujourd'hui, estime Loïc. Sur cinq ans, on a travaillé à 50 % sur la maison et 50 % en dehors. » Seuls les travaux de terrassement et le solaire thermique sont confiés à des professionnels. Le couple démonte une grande partie du bâtiment pour l'éco-restaurer ensuite. Ne reste plus qu'un squelette de bois.
« Elle était abandonnée depuis plus de 30 ans et n'avait jamais été réhabilitée. L'intérieur était dans son jus, il n'y avait aucune peinture nocive, pas un bout de plastique, pas de ciment... », se souvient Elisabeth. Une aubaine pour leur « tout petit budget ». Mais quand ils entament le démontage, « on ne pensait pas qu'il y aurait autant de travail. Petit à petit, on voyait qu'il fallait tout changer ». Ils envisagent de tout raser pour refaire une maison neuve en bois. Mais ils aiment l'idée de « remettre en état des choses qui ont déjà du vécu ».
Il était un bois...
Un glissement de terrain avait fait vriller la charpente et l'ossature. Un côté de la maison a dû être relevé de 12 cm. « Sur 12 poteaux, on en a changés 8 ou 9, retrace Loïc, charpentier de 49 ans. Le fils d'un client démontait de vieilles maisons à ossature bois qu'il remontait ailleurs. J'ai récupéré le bois d'une qui n'avait jamais été remontée. » Et voilà une quatrième vie.
D'autres sections proviennent du bois compris dans le terrain acheté par le couple, dans lequel des chênes et un châtaignier tombés étaient complètement secs. « On fait difficilement plus local ! » D'autres matériaux sont achetés à un vendeur de bois de récupération. « Mais on a aussi acheté du bois neuf : chêne pour le solivage, douglas pour le chevronnage. Le garage est en ossature bois douglas ; l'atelier qui remplace la soue à cochon, aussi ».
D'anciennes solives sont réutilisées pour le colombage. « Les bois ont voyagé dans la maison, s'amuse le couple. Ils étaient abîmés ; une fois retravaillés, ils étaient trop courts pour retourner à la même place, mais on a pu les utiliser à d'autres endroits. Devant la maison, on avait un énorme tas issu de l'ancien bâtiment, trié par types et tailles. Dès qu'il nous fallait une pièce, on venait y piocher. On a acheté quatre sacs de 100 chevilles bois, soit 400 assemblages refaits... 400 tenons et mortaises ! » La maison est remontée à l'ancienne, quasiment à l'identique. Si ce n'est que la majorité du torchis a été remplacée par du terre-paille allégé de 25 cm d'épaisseur. De quoi renforcer l'isolation thermique des murs extérieurs. La terre est tirée du décaissement de la maison. « Ici, l'argile est sableux, sans un seul caillou dedans, idéal pour la construction », exalte Elisabeth, 49 ans.
Un chantier contagieux
La paille vient du champ d'à côté et « un autre voisin était ravi de réutiliser sa vieille botteleuse et de nous prêter tracteur et remorque, c'était génial ! Pourtant, même ceux qui nous aidaient nous disaient : " Nous, on ne s'embêtait pas, on mettait du béton et ça allait bien. " Mais ils ont fini par se rendre compte de ce que ça impliquait », raconte Elisabeth, conjoint collaborateur et artiste.
Les petites fenêtres et celles de l'étage sont en pin, sur mesure. Le reste des ouvertures est réalisé en fonction des fenêtres récupérées chez un menuisier, dont une ancienne porte en chêne. Hop, une cinquième vie. « Il devait nous donner de vieilles menuiseries, mais c'était du simple vitrage, raconte Loïc. à côté, il avait une palette d'invendus en bois exotique. Mon éthique m'interdisait d'acheter du bois exotique. Il m'a dit : " Je te les donne. " Mon éthique en a pris un coup ! » Résultat : un budget menuiserie outrageusement bas : 1 600 € !
Torchis et véranda font bon ménage
« On s'approche du principe du mur Trombe », indique Elisabeth. Grâce au débord de toit, le soleil entre entièrement dans la véranda en hiver mais très peu en été. « On a installé la véranda trois ans après avoir emménagé dans la maison. Il y avait des déperditions énormes à cet endroit. Après l'avoir installée, la différence de besoin de chauffage était impressionnante ! Du jour au lendemain, la sensation de paroi froide sur ce mur a disparu. Et dès qu'il fait soleil, on ouvre les portes entre la véranda et la maison. Ca participe au chauffage, en plus d'être une pièce super agréable pour y faire le lézard au printemps et à l'automne. L'espace tampon au sud qui sert en même temps d'apport thermique, c'est royal et ça fait un petit jardin d'hiver très agréable. »
Techniques bouillonnantes
Après tant de vies antérieures, la nouvelle existence du bâti se devait d'être trépidante. Dalle isolée en vermiculite à un endroit, fondations chaux et bambou, béton de paille et chaux de 5 cm pour la véranda, adobes en haut de mur, isolation en fibre de bois, paille ou même laine de mouton lavée, cardée, séchée et traitée sur place au sel de bore... « Faire soi-même permet d'expérimenter ce qu'on veut, apprécie le couple. Et de savoir ce qu'on ne refera pas, comme le travail sur la laine de mouton brute ! »
Les murs extérieurs donnant sur la terrasse couverte et les murs intérieurs sont revêtus d'enduits terre ; la façade est, d'enduits chaux. Le reste est recouvert d'un bardage en douglas. La salle d'eau est parée d'enduits terre et chaux « façon tadelakt mais sans chaux de Marrakech ». Aucune ventilation et pourtant, « je n'ai jamais vu une salle d'eau se désembuer aussi vite. C'est la terre qui fait tout », estime Loïc, bien que la ventilation assure une bonne qualité de l'air, en plus de réguler l'humidité.
« Notre maison ne comprend aucun produit de traitement chimique », extrapole le couple. Le parquet en pin des Landes reçoit de l'huile dure. De l'huile de lin est appliquée sur les terres cuites. « On en a utilisé peu car c'est bien plus difficile à mettre en œuvre qu'un parquet », confie Elisabeth. Les peintures écologiques sont à l'eau. Seule petite entorse : l'OSB en fond de caisson d'isolation du sol et voile de contreventement des murs en ossature bois. « Aujourd'hui, j'utiliserais du Pavaplan, des plaques de 8 mm compressées, super denses et ce n'est que du bois, pas de colle, explique Loïc. Mais à l'époque, c'était la croix et la bannière pour trouver ne serait-ce qu'un isolant bio ! »
Un Chantier-école avec l'écocentre Pierre et Terre
Le poêle de masse est construit lors d'un chantier-école de l'écocentre Pierre et Terre encadré par l'artisan qui en a dessiné les plans. « Un chantier-école dure une semaine, dont une formation préalable (une demie journée de théorie et visite d'un autre chantier), indique Christophe Merotto, directeur de l'écocentre. Les stagiaires se partagent les frais de formation (220-250 €/j). On vous accompagne mais on ne fait pas à votre place. On vous conseille de recourir à des artisans proches de chez vous et nous, on vient travailler avec eux. Ca permet aussi de les sensibiliser à notre démarche, ils voient comment on travaille avec une association. »
Huit stagiaires ont donc participé à la construction de ce poêle de masse. « Il est en briques de terre crue compressée. Ces briques transmettent la chaleur au mur en terre (d'origine) situé derrière » afin de chauffer la pièce adjacente. La famille consomme 3 à 5 stères de bois par an. « Une chauffe de 2 ou 3 h suffit toutes les 24 h. En mi-saison, un feu de 1,5 h tous les 2 ou 3 jours suffit. Au début, on faisait des feux trop longs, on avait trop chaud pour dormir. Il faut apprendre à le gérer, mais ça vient vite. »
Elisabeth et Loïc ont organisé au total quatre autres chantiers participatifs. Des bénévoles leur prêtent la main et eux offrent les repas, le temps de réaliser les murs en terre-paille et la dalle de chaux du garage. Pour la couverture, « les bénévoles étaient tellement motivés qu'ils ont absolument voulu terminer le chantier malgré la pluie ». Pour le décaissement, « on se croisait avec les brouettes en se klaxonnant, on travaillait sans s'en rendre compte, c'était un plaisir ».
La maison en détails
162 m2 habitables dont 1 étage
• Toit : isolation thermique 20 cm laine de bois (maison) ou 20 cm laine de mouton (atelier)
• Murs : terre-paille (ép. 25 cm) ou laine de bois pour l'atelier (ép. 12 cm)
• Sol : décaissement (35 cm), solivage douglas de 20 cm rempli de 18 cm de paille, posé sur des longrines de béton de chaux ; bouches de ventilation nord-sud et 5-8 cm de ventilation sous les caissons et dans l'épaisseur des solives ; Puis le fond des caissons est constitué de tasseaux surmontés d'une plaque d'OSB ; caissons refermés par le parquet en pin des Landes
• Isolation phonique du plancher d'étage en feutre de bois 18 mm et sable – des rainures sont ménagées dans les solives pour gagner de l'espace en y posant un premier plancher, complètement recouvert de feutre de bois Pavatex 18 mm encastré. Puis, des lambourdes sont collées par-dessus et vissées le temps que la colle prenne. Les vis sont ensuite retirées pour éviter les ponts phoniques. Du sable est ensuite déversé avant la pose du parquet.
• Bois (ossature vieux chêne, charpente chêne et douglas, ossature douglas, bardage, parquet, habillage intérieur...) : 14 500 €
• Couverture, zinguerie : 6 000 €
• Électricité : 3 300 €
• Plomberie : 1 000 €
• Solaire thermique : 7 300 € (crédit d'impôt 3 100 €)
• Assainissement (filtres plantés + mare) : 1 600 €
• Récupération d'eau de pluie (terrassement, 3 cuves de 6 000 l, surpresseur, filtration...) : 5 400 €
• Poêle de masse avec banc chauffant : 1 600 €
• Estimation main d'œuvre en autoconstruction : 2 personnes à mi-temps pendant 5 ans
Durée du chantier : 5 ans Coût du projet : 53000 € Chauffage : 3 à 5 stères/an