La clé du sol
Par Thierry Salomon
Publié le 17 juillet 2024
Nous croyons « habiter la Terre », mais c’est une illusion… En dehors de quelques rares incursions dans les airs ou dans les profondeurs terrestres, nous ne vivons pas dans les 6 300 km qui nous séparent du centre du globe, mais bien sûr la surface de notre planète d’accueil.
Et sur la peau de cette Terre « bleue comme une orange », comme l’a si génialement décrite Paul Éluard, nous occupons un mince et précieux volume qui abrite et permet la vie. Ce volume vital comprend bien sûr l’air que nous respirons et la surface du globe sur lequel nous reposons, l’évolution ne nous ayant pas permis de compenser la force de la gravité, talent réservé aux oiseaux, aux insectes et aux doux rêveurs.
Mais ce volume vital inclut aussi un volume de quelques dizaines de centimètres en dessous de nous, moins d’un dix-millionième de la distance qui nous sépare du centre du globe, le zeste très fin de la pelure de l’orange bleue. Un volume méconnu, négligé, pourtant essentiel à la vie : le sol.
À l’interface entre la lithosphère (le monde des roches) et l’atmosphère (le monde de l’air), le sol est à la fois le support et le produit du vivant. C’est lui qui permet aux plantes de croître. Il est la base de la nourriture des humains et des animaux. C’est lui qui, avec l’eau et le soleil, rend la vie possible et façonne le paysage.
Mais que sait-on vraiment du sol ? Comment la terre de ce sol est-elle nourricière ? Comment devient-elle humus, comment se régénère-t-elle ?
Tenter de répondre à ces questions, essayer de déchiffrer la clé du sol, c’est cheminer de découverte en étonnement. Comprendre que la structure du sol permet la coexistence de très divers organismes microbiens, animaux et végétaux. Découvrir le précieux rôle des vers de terre et s’émerveiller des subtiles relations biochimiques entre le vivant et le minéral. Saisir enfin que la vie découle de la mort par décomposition.
Plus étonnant, la qualité du sol de nos plaines et nos campagnes doit aussi beaucoup aux roches et aux glaciers de nos montagnes pourtant situés à des centaines de kilomètres. Dans un récent livre, La Terre habitable (éd. La Découverte), le géochimiste Jérôme Gaillardet explique comment l’altération des roches par le vent et l’eau donne naissance à la poussière et à l’argile de nos terres libérant les nutriments chimiques (calcium, potassium, phosphore) que l’on va retrouver dans notre alimentation et sans lesquels nous ne pourrions vivre.
Ainsi tout est lié. La santé humaine dépend de la santé du sol et donc de la qualité nutritive des plantes que consomment humains et animaux. Le futur du climat dépend du sol, de sa capacité à piéger une partie du carbone en excès dans l’atmosphère.
Il est donc essentiel de mieux saisir l’urgence de ne pas dégrader les sols et de les « réparer » le plus naturellement possible en s’appuyant justement sur les étonnantes techniques du vivant. Et, comme Candide, de cultiver notre jardin en comprenant mieux la mystérieuse et vitale alchimie qui se déroule dans le sol.
Afin, en quelque sorte, d’être un peu mieux terre à terre !