Ils ont conjugué le passé au présent
Publié le 15 mai 2023
En rénovant cette vieille maisonnette en pierre, Alice et Matthieu ont métamorphosé ce logis vétuste de Loire-Atlantique en cocon très performant et économe, tout en préservant les traces de ses vies antérieures.
Reportage paru dans notre hors-série n°16 La Rénovation performante et écologique et offert avec grand plaisir aux internautes d'un jour ou de toujours visiteurs curieux de notre site Internet. Texte et photos Gwendal Le Ménahèze (sauf mention contraire) « Nous avons fait notre nid dans une coquille existante, qu'on a adaptée tout en gardant son âme », retrace Alice Maine, qui a jeté son dévolu avec son compagnon Matthieu Quantin sur cette vieille maisonnette en pierre, sommairement rénovée dans les années 1950, puis restée en l'état et devenue vétuste. « Il était plus facile de partir d'une base presque nue. On pouvait choisir notre système de chauffage, mettre une bonne isolation... Ça aurait été encore plus compliqué s'il avait fallu garder des éléments auxquels adapter notre projet. » Même si, avec le recul, Alice estime qu'il aurait été « mille fois plus simple de construire neuf » que de conjuguer avec « la dalle pas droite, le toit alambiqué et toutes ces adaptations sur-mesure qui prennent un temps monstrueux », il reste important pour le couple de « nous situer dans une histoire, savoir que cette maison avait déjà vécu des choses et qu'on allait en revivre avec elle. Et les volumes sont plus originaux, pas standardisés ».L'histoire en mémoire
Pour respecter cette histoire, la jeune architecte affine les plans pour obtenir « une insertion la plus harmonieuse possible ». Elle crée une maquette 3D numérique, mais aussi une en carton pour mieux se rendre compte de « comment le projet s'insérait dans l'environnement et trouver la forme du nouveau toit qu'on avait du mal à visualiser ». Charpente et couverture sont vétustes ; « quitte à les retirer, on en a profité pour gagner des mètres carrés en surélevant le toit ». La partie la plus ancienne dispose d'un grenier qui sera aménagé en R+1 et la surélévation permet de prolonger au-dessus de l'ancienne extension (actuelle cuisine) ce plancher existant, mais en conservant la différence de niveau. Sans quoi « on aurait dû remonter l'ancien plancher au niveau de l'autre, donc augmenter la hauteur de la façade sur rue. Or, nous ne voulions pas dénaturer la maison, ni la rue qui est mignonne ». Alice refuse aussi de modifier la hauteur de l'autre façade « pour ne pas ajouter d'ombre portée sur le jardin qui est petit ». Face à ces deux contraintes, « un toit unique paraissait très massif et effaçait l'histoire de cette extension ajoutée à la première partie ». Le toit sera finalement double, en forme de M asymétrique dont les fortes pentes maximisent les apports solaires en hiver par les fenêtres de toit.
Autre contrainte du bâti ancien à dompter : « La priorité, c'est l'humidité », tranche Alice. Gérer l'étanchéité de l'enveloppe de la maison face à la pluie, les remontées de l'eau du sol par capillarité, la vapeur d'eau dans l'air intérieur... Une fois retiré l'enduit ciment qui recouvre les deux faces des murs, y emprisonnant ainsi l'eau remontant du terrain, les autorénovateurs appliquent un enduit chaux à pierre-vue côté extérieur, qui laisse l'humidité s'évacuer naturellement. « On voyait un trait à 1 m du sol pendant au moins un an ensuite, montrant que le bas de mur était toujours humide. » Même si l'enchaînement des travaux complique la donne, il faudrait toujours isoler sur mur sain et sec.
D'autant que l'isolation des murs se fait ici par l'intérieur, en fibre de chanvre en vrac. « On n'a constaté aucun dégât, mais on n'a pas la tête dans les murs », lâche Alice, qui met en garde : « Le chanvre est un matériau hygroscopique, mais s'il reste au contact de trop d'humidité, il peut composter. »
Haro sur l'eau
Pour tenir compte des exigences de ce matériau, Alice consulte des guides de l'association Eco-Pertica et du Groupement des producteurs de chanvre en Lubéron, qui alertent sur le fait que la laine de chanvre ne doit jamais être en contact avec la paroi froide (extérieure) au risque de voir la vapeur d’eau condenser dans l'isolant, qui se dégraderait. Elle doit être protégée de manière sûre et durable contre l’humidité, y compris l’eau de condensation des conduites d’eau froide, des puits d’aération, dans les murs et sous les sols non étanches. Le premier document préconise un pare-pluie respirant entre la paroi extérieure et les montants des caissons recevant le chanvre afin de le protéger de l’humidité extérieure tout en assurant une évacuation de la vapeur d’eau qui serait présente dans l’isolant. Il sert aussi de fond de caisson. Un frein-vapeur côté intérieur de l’habitation protège le chanvre du risque de condensation.
Alice laisse une lame d'air entre le mur en pierre et les montants en bois. « Le logiciel Ubaccus montre à quel endroit de la paroi se fait le point de rosée (où la vapeur d'eau condense). Le pare-vapeur hygrovariable a un coefficient de résistance à la diffusion de vapeur (Sd) de 25 alors que celui du granit est de 1 000 ! Même si le pare-vapeur freine la vapeur, il en transite toujours et elle risque de condenser sur le granit, donc je ne voulais pas qu'il soit au contact de l'isolant. » L'architecte préfère ne pas ventiler cette lame d'air « pour ne pas ramener d'air froid qui condenserait dans la paroi, et éviter de trouer la façade. À l'heure actuelle, la tendance est d'éviter les lames d'air et de mettre en contact tous les matériaux d'une paroi pour permettre à l'eau de transiter de l'un à l'autre par capillarité. Ça nous faisait d'autant plus peur que nos murs n'avaient pas eu le temps de sécher. On a fait au mieux même si ça semble plus risqué que d'autres solutions ».
Si c'était à refaire, « on isolerait avec du béton de chaux-chanvre, au moins au rez-de-chaussée. Et on ne conserverait pas les dalles béton ». Étanches, elles empêchent l'eau du terrain de s'évacuer, la poussant à remonter dans les murs, même si la réalisation d'un drain extérieur périphérique en pied de mur à la place de l'allée bétonnée (qui contrariait aussi l'évacuation de l'humidité) réduit ce phénomène. La problématique de l'humidité est d'autant plus prégnante que la parcelle est en déclivité, faisant « couler » l'eau vers la maison. « Aujourd'hui, on démolirait la dalle pour créer un hérisson de gravier surmonté d'une dalle à la chaux. »
Pour autant, le couple tenait à employer le chanvre comme isolant, sur les conseils du Civam 44 qui lui a parlé de Chanvre et paysans, association qui met en relation chanvriers et constructeurs. « Notre isolant est local, livré directement par les agriculteurs, qui proposent même d'aller voir la production. »
Conserver les traces du passé
La paille de chanvre isole aussi les 145 mm de l'ossature bois des murs de la surélévation. Celle-ci appelle un choix cornélien : où positionner cette épaisseur bien moindre sur les 50 cm de granit des murs existants ? Alice l'aligne au nu extérieur du rez-de-chaussée. « Du dehors, ils forment un seul mur sur le même plan, bien qu'on ait marqué cette évolution par un matériau différent. » À l'intérieur, le plan du mur en ossature bois est plus loin que le mur d'origine. Ainsi, « bien qu'on n'ait que 90 m2, ce décroché donne l'impression d'avoir plus d'espace ». Et malgré ces volumes additionnels, la maison est désormais très économe : le chauffage ne coûte aux propriétaires qu'entre 100 et 150 € par an.
Alice tient à ce que cette nouvelle histoire que vit le bâtiment ne fasse pas table rase du passé en occultant ses vies antérieures. Elle multiplie les traces visibles de ces évolutions successives. De l'intérieur, les plaques de plâtre qui s'entremêlent au plafond marquent l'enchevêtrement de l'étrange jonction des anciens toits. Des planches de bois de récup' utilisées comme tablettes de niches inclinées ou comme de fines lignes retracent aux murs l'emplacement des anciennes rives de toit. Même les « déchets » de la démolition sont partis vivre de nouvelles aventures : « On a tout trié au lieu de jeter dans une même benne. On a donné les tuiles sur Leboncoin, la charpente est partie faire une yourte, les pierres du mur qui séparait les deux parties du bâtiment ont été réutilisées pour le drain et serviront aux aménagements extérieurs. »
Se laisser envelopper
Malgré « l'énorme charge mentale et physique » de l'autoconstruction, même partielle, Matthieu et Alice « ne pens[aient] pas que le résultat serait si bien. Même si on pouvait se promener virtuellement dans la 3D, on est surpris par le bonheur que procure la lumière d'est toute l'année dans la cuisine, par les vues sur le ciel, sur les toits alentours... Il y a une surprise dans les matériaux et l'usage. Assez froide, une 3D ne retranscrit pas notre perception, notre ressenti quand on marche pieds nus sur un parquet massif ou qu'on s'assoit à côté du mur en briques de terre crue qui reste frais en été... ».
Pendant le chantier, une amie conseille à Alice de lire Chez soi de Mona Chollet. « Ça m'a fait énormément de bien. Elle parle des perceptions d'enveloppement d'une petite bibliothèque ou la sensation d'être perché qui amène à voir les lieux différemment. On ne s'en rend compte que dans le logement réel ; tiens, si je m'assois là je peux voir jusqu'à l'autre bout de la maison l'arbre du jardin. C'est génial de ne pas voir tout d'un seul coup, de ménager des surprises au fil des déplacements. » Quant aux murs anciens de 50 cm de pierre, « on n'en fait plus aujourd'hui et cette épaisseur qui se voit autour des fenêtres procure une sensation incroyable d'enveloppement, dont on ne bénéficierait pas dans une construction neuve classique ».
En quête du bon plan
En tant qu'architecte, Alice Maine travaille sur les circulations, « préservant des îlots où on ne circule pas, où on se sent à l'abri ». Si la porte extérieure de la cuisine était restée à sa place, difficile de positionner la table. Elle est remplacée par une baie fixe et la fenêtre au bout de la pièce devient la porte ; « la circulation se fait de l'escalier à cette porte et forme deux îlots où se poser pour prendre les repas et cuisiner ». Les anciennes entrée et cuisine sont rassemblées en un « triptyque rangement, WC, buanderie. Cette zone technique sert aussi de sas thermique ; elle est fermée quand on ouvre la porte extérieure, puis on la referme quand on entre dans les pièces de vie, évitant ainsi de chauffer ce local ». La porte qui donne sur l'actuel salon est décalée afin que la circulation qui la relie à l'escalier ne perturbe pas le calme du salon, ni le coin tranquille devant la bibliothèque.
Le premier escalier est très large, invitant à une circulation fluide entre les pièces de vie. « On peut y être à plusieurs, quand on organise des fêtes les copains s'y assoient », constate Alice. Le deuxième se ressert, mais sans contremarches et avec une rambarde ajourée ; « l'espace devient plus privatif, mais on voit qu'on peut encore y aller ». On devine à peine le dernier escalier – qui mène à la chambre et au bureau –, plus étroit, avec contremarches pleines et fermé des deux côtés par des plaques de plâtre. Les escaliers servent ainsi à « séquencer les espaces ; plus on monte et moins l'accès est grand public ».
3 questions à Gilles Alglave, Président de Maisons paysannes de France
Les bâtis anciens et modernes s'appréhendent-ils différemment ?
Le bâti ancien (avant 1948) tire ses matériaux du sol local : pierre, terre, bois, paille... Ils sont sensibles à l'humidité mais la laissent transiter à travers eux. Le bâti d'après 1948 est « isolé », sans lien avec son environnement. On y trouve du polystyrène et du ciment, matériaux étanches. Si on les applique sur l'ancien, ils piègent l'humidité. Le bâtiment en pâtit comme ses habitants : moisissures, insalubrité, problèmes de santé...
Comment rendre l'ancien moins énergivore ?
Le bâti ancien a déjà des qualités thermiques. Il faut préserver l'inertie de ses matériaux, qui lutte naturellement contre les transferts de calories. Ses zones tampon le protègent aussi (appentis, ateliers...). Les combles perdent ce rôle quand on les aménage. Il faut massifier les économies d'énergie, à condition de maintenir les interactions entre les parois et le milieu environnant grâce à des matériaux perspirants, laissant passer la vapeur : biosourcés (laines de mouton, de bois, chanvre, lin...) et géosourcés comme la terre. La chaux est aussi compatible. Hélas, on applique au bâti ancien les normes créées pour le bâti moderne. Inadaptés, les logiciels les disqualifient. On est riche d'une culture qu'on méprise par manque de connaissance. Il faut former plus de professionnels au bâti ancien*.
Rénover le vieux bâti met-il en péril notre patrimoine ?
Il faut préserver la valeur patrimoniale d'un bâti ancien, de sa logique constructive. Il fait partie de notre histoire, de notre culture. Quand on rénove une propriété privée, on doit la considérer en partie comme un bien commun transmis de génération en génération. Mais le patrimoine ne doit pas être figé. Une maison n'est pas un objet de contemplation, elle est faite pour être habitée, donc s'adapter à de nouvelles fonctions et aux exigences contemporaines, tout en créant une continuité. Au lieu de démolir, intégrons l'ancien au nouveau projet.
*MPF prodigue une formation Amélioration thermique du bâti ancien (Atheba).
La maison en détails
90 m2 pour 2 habitants
Achat : octobre 2017
Chantier de mars 2018 à juin 2020
Sol : 5 cm liège en vrac entre lambourdes sur ancienne dalle béton, parquet chêne local massif ou chape ciment effet béton ciré
Murs : enduit chaux extérieur sur mur en pierre, lame d'air, pare-pluie, ITI 10-12 cm chanvre en vrac, rails + laine de bois 4 cm, plaque de plâtre, peinture naturelle Défi nature / Surélévation bardage mélèze claire-voie ou PLX sur volige, pare-pluie, ossature bois 145 mm sur ceinturage béton armé remplie de chanvre en vrac, panneau fibre de bois 4 cm, rail-fourrure, plaque de plâtre, peinture
Plancher : peinture, plaque de plâtre, vide technique, chanvre entre solives bois, OSB collé, poncé et vitrifié
Toit : alliage PLX, pare-pluie, volige, chevrons ventilés, 20 cm panneau laine de bois entre pannes, 10 cm laine de bois dans ossature bois rapportée, pare-vapeur, 2 cm isolant coton recyclé Métisse dans vide technique, fourrure, plaque de plâtre, peinture
9 menuiseries bois peint d'usine Pasquet Lignal 2 double vitrage argon Poêle à granulé MCZ Mood Confort Air 2,4 à 8 kW (570 kg/an) Panneaux solaires Dualsun mixtes thermiques (eau chaude) et photovoltaïques (production d'électricité) VMC simple flux hygroréglable type B Ozeo
Budget TTC Autoconstruction Démolition, équipement de protection individuelle : 2 580 € Réseaux drain : 1 318 € Ossature métal + bois : 3 141 € Isolation murs (dont 7 792 € chanvre + laine de bois + frein-vapeur + PU embrasures) : 18 210 € Électricité : 4 342 € Plomberie + robinetterie + vasque : 2 596 € Maçonnerie (joints chaux, mur terre crue, réfection tableau porte...) : 1 155 € Plaque de plâtre : 3 448 € Peinture : 2 545 € Sol rez-de-chaussée : 5 094 € Sol étage : 166 € Salle de bains meuble + carrelage + sol : 2 555 € Portes : 867 € Escalier : 760 € Cuisine : 1 241 € Meuble sur mesure + aménagement :1 504 €
Entreprises Étude structure : 126 € Eaux usées : 3 600 € Eau potable : 1 984 € Enedis (raccordement panneaux) : 676 € Maçonnerie : 10 071 € Charpente : 18 292 € Couverture : 21 000 € Menuiseries extérieures : 8 897 € Poêle : 6 307 € Panneaux solaires : 9 263 € Bandes : 2 961 €
Aides financières CITE poêle + panneaux solaires : 4 943 € CITE menuiseries : 1 334 € CEE menuiseries : 229 €