Géniales poussières d’étoiles
Par Thierry Salomon
Publié le 24 janvier 2024
Ils nous ont quitté presque en même temps. Tous deux astrophysiciens, chercheurs, pédagogues, humanistes et lanceurs d’alerte. Tous deux d’une curiosité inlassable face aux mystères de l’Univers. L’un est très connu, Hubert Reeves. L’autre, François Roddier, le sera demain.
Après une carrière d’astrophysicien, François Roddier a écrit un livre magistral, Thermodynamique de l'évolution, essai de thermo-bio-sociologie (Parole éditions, 2012). Un livre certes ardu, mais où sa fulgurante pensée pétille comme une pluie d’étoiles filantes.
Avec lui on comprend qu’obéissant aux mêmes lois que celle de la thermodynamique, tous les écosystèmes évoluent naturellement de façon à maximiser la vitesse à laquelle ils dissipent l’énergie : si deux processus physiques sont en compétition, celui qui dissipe lʼénergie le plus vite lʼemporte, le plus souvent après un changement brutal. Ainsi, à 100°C l’eau liquide devient vapeur, permettant de dissiper rapidement beaucoup plus de chaleur que par conduction. Mais l’énergie utilisée se dissipe alors de façon irréversible : on ne peut refaire la même quantité d’électricité avec la vapeur produite…
Tous les écosystèmes fonctionnent ainsi, François Roddier démontrant que ce qui est vrai pour l’énergie l’est aussi pour les galaxies, la génétique, la monnaie, les datas numériques, la société de surconsommation, la guerre… et la sélection naturelle.
Dès lors, il nous alerte : il nous faut impérativement diminuer notre taux de dissipation, donc de gaspillage d'énergie, de matières et de produits inutiles. Renoncer au veau d’or de la croissance immodérée. Dépasser le dogme très dissipateur de la compétition pour, d'un commun accord, passer à la coopération.
La figure tutélaire d’Hubert Reeves nous est plus familière. Une barbe de druide, une voix unique et chantante de vieux sage qui serait tombé sur Terre à bord d’une facétieuse météorite. Lui aussi nous a raconté une incroyable vérité scientifique : nous sommes tous des poussières d’étoiles.
Tous nos atomes, sans exception, ont été créés au sein d’incroyables forges stellaires. Chacun des 7 x 1027 (7 milliards de milliards de milliards !) atomes qui composent chacun de nos corps a été formé soit quelques minutes après le Big Bang, soit dans le cœur d'étoiles mortes bien avant la naissance du Soleil. La moitié des atomes de notre corps proviendraient même de l'univers au-delà de notre galaxie, la Voie lactée. Nous sommes donc tous, en partie, des migrants. Des migrants intergalactiques…
Poussières d’étoiles reparties vers les étoiles, Hubert Reeves et François Roddier nous laissent aussi une vertigineuse leçon d’humilité et de sagesse : nous, les humains qui croyons toujours être des dieux, devons enfin comprendre que le futur de la vie sur Terre est lié aux lois de la thermodynamique, tant pour le climat que pour la matière et l’énergie. Mais que tout n’est pas déterminisme : ces lois fixent les limites à l’intérieur desquelles nous pouvons et devons agir.
Je fus frappé, ayant eu la chance de les rencontrer tous les deux, de leur simplicité et de leur gentillesse, elfes bienveillants toujours capables, au soir de leur vie, d’émerveillements enfantins face au spectacle des galaxies et de l’oiseau sur une branche.
Ils ont su éclairer ces ténèbres sidérales, peuplées de stupéfiants objets célestes, emplies de matière noire et d'énergie sombre, régies par des forces encore mystérieuses. Et ont réussi, pour notre bonheur, à relier astrophysique, humanité et poésie comme dans ces vers de René Char : « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. »