Autodafé climatique
Par Thierry Salomon
Publié le 24 juillet 2025
En 1497, le moine Girolamo Savonarole encouragea la population de Florence à brûler sur la place de la Seigneurie des objets considérés comme immoraux. Des œuvres d’art, des instruments de musique, des livres païens ou profanes et même des tableaux de Botticelli furent ainsi jetés au bûcher.
Le 10 mai 1933, les nazis organisèrent dans toute l'Allemagne une vaste campagne de destruction de livres d’écrivains dits « dégénérés », juifs, marxistes, pacifistes ou étrangers.
En 1966, Mao Zedong lança la révolution culturelle en Chine par une campagne dite des « Quatre Vieilleries » afin d’éradiquer « les idées, la culture, les coutumes et les habitudes ». Durant dix ans, des millions d’objets anciens et de livres furent détruits par les Chinois eux-mêmes, terrorisés par les gardes rouges.
D’autres autodafés suivirent au Cambodge sous les Khmers rouges, dans l’Afghanistan des talibans ou en Irak sous l’État islamique… On pourrait conclure de cette triste litanie que les autodafés sont l’apanage des régimes les plus barbares.
Or, venant d’une démocratie plus que bicentenaire, les États-Unis, on a appris stupéfaits que la nouvelle administration Trump, dès son investiture, a ordonné la suppression de l'accès à des données scientifiques sur le climat, l’environnement et la santé publique. Dès le 29 janvier dernier, les agences fédérales américaines ont été ainsi priées d’éliminer tous les programmes et projets suspectés de promouvoir le « wokisme ». Le New York Times a ainsi compilé 200 mots à éviter parmi lesquels les termes quasi-orduriers de clean energy, climate change, climate science*. Même le mot pollution est banni…
Cette guerre lexicale ne serait que grotesque si elle ne s’accompagnait d’un genre nouveau, l’autodafé numérique. En février 2025, l’EPA (Agence de protection de l’environnement américaine) et plusieurs agences ont été sommées de retirer ou modifier des centaines de pages Web contenant des références au changement climatique. Certains rapports scientifiques liés au climat ou à l’environnement ont été retardés ou supprimés, des scientifiques empêchés de présenter des recherches…
Mais les trumpistes se trompent de siècle : les données numériques ne brûlent pas comme un livre et les bits peuvent se dupliquer. La résistance s’organise et des actions comme EDGI (Environmental Data and Governance Initiative), Climate Mirror, Internet Archive ou le projet End of Term ont archivé des téraoctets de données pour préserver les éléments supprimés.
Bien avant Trump, un autre président des États-Unis s’adressa en 1942 aux libraires américains pour affirmer que « les livres ne peuvent être anéantis par le feu. Les hommes meurent, pas les livres. Aucun être, aucune force ne peut abolir la mémoire ».
Trump se fiche bien sûr de Franklin Delano Roosevelt, de la mémoire et des livres, à part le sien bien entendu. Il n’a sans doute jamais lu un livre d’Histoire, et n’a donc jamais entendu parler du moine Savonarole et de son autodafé sur la place de la Seigneurie à Florence. C’est bien dommage, car il aurait appris que les auteurs d’autodafé, fusse-t-il numérique, finissent mal en général : un an après le sien, sur la même place, Savonarole fut mis à mort sur un bûcher, ses cendres rejoignant dans l’Arno celles des livres qu’il contribua à jeter au feu.
*énergie propre, changement climatique, science du climat.