Autoconstruction : un an de travaux à budget riquiqui

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Publié le 15 mai 2023


Deux ans de conception pour seulement un an de travaux en autoconstruction, menés par ces deux aides-soignants du Maine-et-Loire en respectant leur budget ultra-serré. Une prouesse relevée sans pression et avec passion.

Article paru dans la rubrique Autoconstruire de notre magazine n°119 (octobre-novembre 2020) et offert avec grand plaisir aux internautes d'un jour ou de toujours visiteurs curieux de notre site Internet. Texte et photos Gwendal Le Ménahèze (sauf mention contraire)

Autoconstruction rime souvent avec tensions, exténuation, séparation. Mais pas dans le dictionnaire de Lydie et Jean-Charles Noguès. Les pièges ne manquaient pourtant pas pour ce couple d'aides-soignants qui a mené son chantier en autoconstruction quasi totale sur un an seulement, tout en gardant leurs emplois à plein temps et en élevant leurs trois premiers enfants. Sans aucun retard, ni dépassement d'un budget très serré, leur projet a plutôt rimé avec parfaite sérénité. Un exploit qui ne doit rien au hasard...

« On a emménagé en 2010 après un an de travaux, incluant la maison, l'atelier et les aménagements extérieurs, mais on a d'abord consacré deux ans à la préparation du projet, réfléchir à ce qui était faisable, peaufiner, dessiner les plans, estimer la durée de chaque phase et les quantités de matériaux, planifier, etc., précise Jean-Charles. Quand on a démarré les travaux, tout était programmé, on n'avait plus qu'à dérouler le planning. Et on n'attend pas d'avoir fini de poser un matériau pour réfléchir à ce qui se passera derrière ; on enclenche ce qui a été prévu à l'avance, les commandes pour que les matériaux suivants soient prêts... » 

Rencontrer et visiter

Quand ils achètent ce terrain nu à Montpollin, dans le Maine-et-Loire, ils envisagent d'y bâtir en rondins de bois. « Mais il fallait des engins de levage, l'acheminement du bois était compliqué, le prix dépassait notre budget… » Ils se renseignent sur le monomur : « des coûts astronomiques et on n'aime pas ce qui est trop droit. » Le « tilt » se produit en visitant la « maison 3 E »(1) – écologique, économique, entraide –, à Moisdon-la-Rivière (44), puis une autre en paille, en Mayenne, « où on nous a expliqué le maniement de la paille, la terre, la chaux... On s'est rendu compte qu'en choisissant des matériaux locaux et naturels, le chantier était plus à notre portée ».

Ils participent au chantier d'une maison en paille à étage : « Il fallait faire venir des échafaudages, monter les bottes, la terre... À deux, ça n'aurait pas été tenable. » La leur sera donc de plain-pied. « Tout se fait sur le plancher des vaches, on avance tranquillement à notre niveau. » Eux ne voulaient pas organiser de chantiers participatifs. « Ça représente un coût et j'avais plus envie de participer aux travaux que de gérer toute l'intendance », pointe Lydie. 

Le couple consulte des livres sur les différentes techniques de construction en paille et « la cellule sous tension semblait la plus simple ». Les autoconstructeurs s'en inspirent et la couplent à une structure bois en poteau-poutre (voir Les Travaux en images). Ils aideront même l'agriculteur à récolter les bottes de paille dans le champs juste derrière leur maison. « Elle n'est pas bio, mais elle n'a parcouru que quelques mètres pour arriver chez nous, ce qui nous semblait plus cohérent. » 

Rendre les partenaires acteurs

Ces deux ans de conception approfondie leur facilitent bien des démarches. « Quand la banque a vu la taille de la maison, qu'on n'avait pas d'apports personnels et qu'on n'empruntait que 70 000 €, elle nous a dit de revenir à la réalité ! Autoconstruction, maison en paille, pas d'expérience dans le bâtiment ; on ne rentrait pas dans les cases. Pour qu'elle nous suive, il a fallu qu'on explique notre démarche, détailler la façon dont on allait s'y prendre... », se souvient Lydie. De même, l'assureur (assurance chantier, puis multirisques habitation) « ne savait pas dans quelle catégorie nous ranger. On a présenté des émissions qui parlaient d'études montrant que comparée à la brique et au parpaing, la paille résistait plus longtemps aux incendies. Ils avaient besoin de comprendre, on a été porteurs de notre projet donc on a pu l'argumenter et ils ont vu qu'on ne s'engageait pas à la légère ». 

Autre secret d'un chantier sans accroc : rendre acteurs les professionnels sollicités. « On précisait qu'on était en autoconstruction, donc qu'on n'avait pas le droit à l'échec. Toutes les commandes étaient passées un an à l'avance ; on revenait plusieurs fois vers eux pour rappeler que si une livraison ne se faisait pas à la bonne date, ça faisait foirer le projet. Il fallait que le toit soit terminé avant que la paille soit livrée, pour la protéger des intempéries. Et comme il ne fallait pas que la moindre humidité atteigne la paille, une fois les murs montés on devait enduire dès que possible. On avait posé nos trois semaines de congés d'été pour la paille, il fallait absolument que le toit soit fait avant et que tout soit prêt pour la protéger avant la fin de cette période. » Le couple a récupéré 20 t d'argile dans une carrière à 20 km qui la considère comme un déchet de l'extraction de sable. « On est retourné dans la carrière tester l'argile et on demandait s'ils étaient bien sûrs que ce serait bon pour la date prévue. »

  Le bardage de l'extension bureau créée en 2018 n'a pas encore grisé comme celui de la maison finie en 2010. La famille nombreuse voulait une grande pièce de vie, les chambres autour et pas de couloir pour que le poêle central diffuse sa chaleur partout.

Se laisser le temps d'éprouver

Après l'achat du terrain, le couple mène des essais grandeur nature en plantant deux poteaux surmontés d'une planche qu'ils allongent en fonction de l'ombre qu'elle porte au sol afin de trouver la taille optimale du débord de toit qui empêchera le soleil de rentrer par les vitrages en été. La famille plante aussi sa toile de tente pour déterminer l'emplacement idéal du futur bâtiment en faisant concrètement l'expérience du quotidien de leur terrain « par rapport aux voisins, au passage des voitures, constater comment on entend et on ressent les choses environnantes, décrit Lydie. Cela nous a par exemple montré que les vents dominants d'ouest sont importants ; on a implanté l'atelier de manière à ce qu'il en protège la terrasse ».

Anticipation maximale

Aucune commande n'a abouti à trop ou pas assez d'un matériau, grâce à un cahier où tout était détaillé : temps prévus, surfaces, cubages... Face aux doutes, « les deux ans de préparation amenaient les réponses à force de rencontres. Quand on questionne les professionnels, en général ils apportent les réponses ». Comment utiliser l'argile dure comme de la pierre sans s'épuiser à coups de petits seaux ? La solution tombe à l'issue d'un chantier participatif d'Eau vivante pour apprendre à réaliser une phytoépuration. « Nous avons acheté à l'avance les cinq abreuvoirs à vache de 1,80 m de diamètre qui accueilleraient de la pouzzolane et des végétaux pour traiter nos eaux usées. En attendant, on les remplissait d'argile le soir pour la laisser tremper et pouvoir la mélanger avec la paille le lendemain. »

Les travaux en images

©Famille Noguès

  La maison est portée et contreventée par une structure poteau-poutre en épicéa. Les bottes de paille sont insérées en force entre les montants (50 x 200 mm) d'une ossature secondaire placée à l’extérieur des poteaux.    

Un liteau est placé de chaque côté des montants, appuyé pour compresser la paille, puis pointé aux montants. Pour mettre la dernière botte sous tension et l'insérer en haut du mur, les autoconstructeurs ont utilisé un cric de voiture.

     

Les montants étant moins épais que les bottes de paille, l'espace entre les bottes est comblé d'un mélange terre-paille qui coupe le pont thermique de l'ossature et aligne la paroi. 

        La couche de corps de l'enduit chaux extérieur a reçu plus de chaux hydraulique côté ouest, plus exposé à la pluie. Le bureau construit huit ans plus tard n'a été enduit qu'avec de la chaux hydraulique, car « l'enduit s'effrite moins qu'avec la chaux aérienne, même si cette dernière a l'avantage de pouvoir être préparée à l'avance », note Jean-Charles.

Le commerce de proximité nous a sauvé

Pour éviter les imprévus, « on a fait beaucoup de démarches et de déplacements nous-mêmes. On ne voulait pas recourir à des magasins éloignés. Une grande enseigne aurait coûté moins cher au premier abord, mais on n'a fait travailler que des commerçants de Baugé, à 4 km, même Point P et Espace Emeraude. Ils connaissaient notre projet par cœur et ça nous est revenu moins cher que si on avait dû se faire livrer ou multiplier les trajets, sans compter les risques de problèmes de livraison ». Concentrer les corps de métier sur un même acteur (ici, les autoconstructeurs eux-mêmes) réduit aussi les aléas. Seul artisan a être intervenu sur ce chantier, le charpentier a découpé les bois comme Jean-Charles le lui avait indiqué et les a montés avec lui. Si lui était déjà très bricoleur, Lydie n'y connaissait « rien du tout. Il m'expliquait en faisant, c'est énorme tout ce que j'ai appris ! ». Jean-Charles a mis à profit les deux ans de conception pour se renseigner sur tous les corps de métier. « Avec Internet, on dispose de beaucoup de documentation, même si, parfois, tout est dit et rien n'est dit, constate-t-il. J'ai aussi acheté des bouquins qui expliquent clairement les choses. » Pour la plomberie, « il faut respecter des pentes et assembler des tuyaux, résume-t-il. Avec les matériaux actuels, pas besoin d'avoir appris à souder. Le multicouche s'assemble avec des raccords qu'il y a juste à sertir. » Pour l'électricité, son oncle électricien lui fournit les plans, « j'avais juste à les respecter à la lettre ».

Les cloisons en torchis se composent d'une ossature douglas garnie d'un clayonnage bois et d'un grillage pour renforcer l'accroche du terre-paille. L'enduit terre de finition est additionné de chaux pour qu'il soit plus clair et durcisse plus vite. Ce poêle turbo peut être alimenté par tout type de bois et rayonne la chaleur produite. On oublie le charme des flammes, mais il est très efficace pour une maison à inertie, qui se révèle très économique à l'usage : 70 € de chauffage par an. La famille ne consomme aucune eau du réseau et n'en paye que l'abonnement (120 €/an). Un deuxième circuit parallèle alimenté par une cuve enterrée d'eau de pluie, douce et sans calcaire, suffit largement depuis 10 ans. Les restes d'argile du chantier ont servi à construire le four à bois extérieur.

Se blinder contre les mauvaises ondes

Ces aides-soignants profitent de leurs horaires coupés pour avancer les travaux entre 13 h et 17 h 30, en plus des jours de repos et vacances. Ils achètent une vieille caravane pour dormir sur place le week-end. « Simon avait un an et demi, il pouvait y faire la sieste. » Mais la famille n'y vit pas en permanence et conserve une location « pour faire les devoirs dans de bonnes conditions, dormir au calme afin de préserver la scolarité des deux autres enfants. Nous déposions les filles à l'école le matin avant de partir travailler, puis nous les récupérions après l’école, Lydie rentrait dans notre location s’occuper des leçons, puis déposait tous les enfants chez la nourrice si besoin, mais c’était assez rare puisque nous avions des horaires et jours de repos décalés, donc ils pouvaient venir sur le chantier aider à tasser le sable, ficeler les bottes de paille, mélanger et appliquer les enduits terre à la main... ». 

Et pour les parents, des travaux d'une telle ampleur n'ont-ils pas été épuisants ? « Du tout ! », rétorquent-ils en chœur. « On a été porteurs et en même temps portés par le projet tellement tout s'est bien enchaîné. Au début, certains proches qui ne connaissent pas l'écoconstruction s'inquiètent : la paille va prendre feu, ça ne tiendra pas 100 ans, l'autoconstruction est risquée... On s'est dit stop, ça nous met une pression, il ne faut pas qu'on s'encombre de choses négatives. On n'en a même pas parlé au boulot pour que les problèmes ne soient pas mis sur le dos d'une fatigue due au chantier. Notre métier en lui-même n'est pas toujours facile. »

La chambre parentale joue sur les courbes contrastées entre l'enduit de finition clair et la couche de corps, plus sombre.   La chaux ajoutée au torchis des cloisons les rend plus claires que l'enduit terre posé sur les murs périphériques.

« On a été porteurs et en même temps portés par le projet tellement tout s'est bien enchaîné. »

 

Devant les appels de personnes souhaitant visiter le chantier, « on proposait de venir plutôt quand il serait terminé. Le gars qui est venu couler la dalle a amené un ami, qui nous a dit : "oh là là, tu vas mettre cinq ans à faire ta baraque !" Ça nous a plombé le moral, on s'est dit plus jamais ! ». Le montage des bottes de paille a attiré la curiosité de très nombreux voisins. Jean-Charles se souvient que « ça a créé du lien, mais on a fini par craindre que ça retarde le chantier. Je suis monté sur le toit pour dire qu'on n'avait plus le temps de tout expliquer, mais qu'ils n'hésitent pas à repasser le soir après le chantier ! On ne vivait pas cachés, mais on s'est protégé en faisant ce qu'on avait à faire sans le crier sur tous les toits »

 

La maison en détails

6 personnes vivent dans cette maison

170 m² de logement + 40m²  d'atelier + 20m²  de bureau 

Sol Fondations béton (tranchée 40 x 40 cm), polystyrène 4 cm, dalle béton, tomettes (réemploi) sur lit de chaux ou parquet pin maritime noueux (foncé au brou de noix + huile de lin) sur lambourdes

Murs Enduit chaux-sable, gobetis chaux, bottes de paille (50 cm) sous tension entre ossature secondaire douglas 50 x 200 mm (75 x 200 mm fenêtres) sur une rangée de brique monomur terre cuite et feuille goudronnée (anti-remontées capillaires), gobetis argile, corps d'enduit argile + paille d'orge macérée, finition terre + sable + bouse de vache + paille hachée à la tondeuse + fromage blanc, poteaux épicéa sur plots béton liés aux fondations

Cloisons Torchis sur ossature douglas grillagée, terre-paille additionné de chaux pour qu'il durcisse plus vite

Toiture Tuile mécanique, liteaux, charpente douglas, ouate de cellulose (40 cm) soufflée en combles perdus, poutres épicéa, plafond plaques de plâtre, peinture 

Équipement Poêle à bûche Home (Deom) 12,5 kW Chauffe-eau électrique Récupérateur d'eau de pluie enterré (10 m3) pour tous usages domestiques + réserve à ciel ouvert de 20 m3 raccordée aux gouttières du garage pour arrosage du jardin Phytoépuration type Eau vivante Toilettes sèches à compost

Budget TTC Terrassement : 4 500 € Dalle + fondations : 7 000 € Bois (ossature, charpente, bardage...) : 25 000 € Couverture tuiles : 6 100 €  Menuiseries intérieures et extérieures (déstockage + « maison ») : 4 500 € Brique monomur : 1 200 € Isolation murs (600 bottes de paille) : 1 100 € Isolation combles : 2 200 € Enduit chaux extérieur : 2 000 € Livraison argile : 200 € Plaque de plâtre plafond : 1 000 € Parquets : 2 800€ Électricité + chauffe-eau : 2 000 € Poêle : 1 500 € Plomberie + évacuations (grande part d’occasion) : 1 000 € Phytoépuration : 900 € Récupérateur EP : 4 500 €

coût total

70 000 € (extérieurs et outils compris)

 

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