Réemploi pour leur maison en autoconstruction

Maison en récup et réemploi

Du sol au plafond, la maison autoconstruite en Charente-Maritime par Sarah et Julien s’habille en seconde main. Charpente, dalle, fenêtres, isolation ; ses entrailles aussi ont déjà vécu d’autres vies.

Un portail qui s’ouvre sur le halètement du chien Bouli, une volée de marches en palettes (en attendant la terrasse en dalles de teck démontées de la cour d’un bureau parisien) et nous voilà attablés dans l’enveloppant intérieur de Sarah et Julien. Ils ont emménagé en avril dernier dans la maison dont ils ont entamé l’autoconstruction en février 2021 près de Rochefort (17). En suivant une recette bien à eux : bois, terre, paille… et une grosse dose de réemploi.

 

Julien dévoile son ingrédient pas si secret : le réseau. Tissé en suivant des formations, Propaille, terre crue dans le Périgord, réemploi des matériaux avec Odéys à Bordeaux. « Ça ouvre les yeux sur plein de choses. Ils te fournissent des pistes, qui t’amènent à un gars, qui te parle d’une boutique… Et de fil en aiguille ta baraque prend forme ! Il faut parler, parler, parler. »

Sous leur toit le réemploi est roi

Parler avec « le menuisier du village d’à côté, consulté pour les fenêtres. On ne l’a pas retenu mais on a sympathisé. Donc quand je lui ai dit que je cherchais un escalier, il m’a proposé celui qui traînait depuis quatre ans dans son garage. Après l’avoir démonté d’une mairie, il n’a pas pu jeter ce magnifique ouvrage en ormeau. C’est un bois qu’on ne trouve plus depuis que cet arbre a été décimé par une maladie ».

Parler encore, avec les architectes du collectif Cancan. Ils ont récupéré des claustras « dans un chai de Bordeaux qui refaisait sa déco alors que tout était neuf. À la mode, ces panneaux coûtent 250 € neufs. Mais ils les bradaient 15 €, donc on a sauté dessus ». Même s’il a fallu les stocker deux ans et demi avant de les poser au plafond de l’entrée.

Ainsi, les écuries de tôle se remplissent vite. Alors le couple installe un grand barnum et stocke aussi sur le chantier. « Heureusement qu’on avait notre meilleur ami : le transpalette ! 100 € bien rentabilisés, on pouvait déplacer facilement sur la dalle les bottes de paille ou les fenêtres sans les abîmer et sans nous abîmer », sourit Sarah.

Suite de ce reportage en textes et images dans le hors-série n°19 “Récup et réemploi” du magazine La Maison écologique.


Cahier pratique : Table à dîner en bois de palettes



Fabriquer un meuble en réemploi dans l’air du temps, facile à fabriquer et à vivre.

La tendance actuelle en matière de mobilier tend vers des meubles en bois massif, à la ligne sobre, bruts et authentiques. La table offrant six places assises présentée ici peut aussi être utilisée en (grand) bureau. Le bois de palette, même d’essence modeste, est parfait pour fabriquer soi-même cette table, mais également des rangements, des têtes de lits, de petits éléments de décoration… Faciles à vivre – même avec des enfants –, ces meubles faits maison sont attachants, simples à entretenir et très économiques. Ils apportent beaucoup de chaleur dans la décoration, en plus du plaisir et de la fierté de les avoir faits soi-même.

140 millions de palettes, et moi, et moi, et moi…

Pourquoi se tourner vers les palettes de manutention et de transport pour créer du mobilier ? Parce qu’elles sont partout ! On en dénombre pas loin de 140 millions* produites ou reconditionnées en France en 2019. C’est une ressource abondante, dont le bois pousse localement à 70 %. Il s’agit principalement de résineux : épinette, douglas, pin ou sapin. Ou plus rarement (4 %) de feuillus : peuplier, hêtre ou chêne. Le bois est soit non traité (pour les palettes légères), soit traité contre les xylophages à la vapeur d’eau (sans produit chimique) pour les palettes qui vont voyager en Europe et sont marquées du logo HT/EPAL.

Il est possible de récupérer des palettes auprès des commerçants, des petites industries locales, sur les chantiers de rénovation ou de construction. Il faut ouvrir l’œil et, surtout, toujours demander la permission avant de les emporter. En effet, elles peuvent être consignées, mais un certain nombre partent au recyclage.

*Source : Étude structurelle sur l’emballage bois – 2020, Gallileo, 2021.


Reportage autoconstruire : Sous leur toit le réemploi est roi

SECONDE MAIN

Du sol au plafond, la maison autoconstruite en Charente-Maritime par Sarah et Julien s’habille en seconde main. Charpente, dalle, fenêtres, isolation ; ses entrailles aussi ont déjà vécu d’autres vies.

Un portail qui s’ouvre sur le halètement du chien Bouli, une volée de marches en palettes (en attendant la terrasse en dalles de teck démontées de la cour d’un bureau parisien) et nous voilà attablés dans l’enveloppant intérieur de Sarah et Julien. Ils ont emménagé en avril dernier dans la maison dont ils ont entamé l’autoconstruction en février 2021 près de Rochefort (17), en suivant une recette bien à eux : bois, terre, paille… et une grosse dose de réemploi.

Julien dévoile son ingrédient pas si secret : le réseau, tissé en suivant des formations, Propaille, terre crue dans le Périgord, réemploi des matériaux avec Odéys à Bordeaux. « Ça ouvre les yeux sur plein de choses, ils te fournissent des pistes, qui t’amènent à un gars, qui te parle d’une boutique et de fil en aiguille ta baraque prend forme ! Il faut parler,
parler, parler. »

Stratégie de la langue bien pendue

Parler avec « le menuisier du village d’à côté, consulté pour les fenêtres. On ne l’a pas retenu mais on a sympathisé et quand je lui ai dit que je cherchais un escalier, il m’a proposé celui qui traînait depuis quatre ans dans son garage. Après l’avoir démonté d’une mairie, il n’a pas pu jeter ce magnifique ouvrage en ormeau, un bois qu’on ne trouve plus depuis que cet arbre a été décimé par une maladie ».

Parler encore, avec les architectes du collectif Cancan, qui ont récupéré des claustras « dans un chai de Bordeaux qui refaisait sa déco alors que tout était neuf. À la mode, ces panneaux coûtent 250 € neufs ; ils les bradaient 15 €, donc on a sauté dessus », même s’il a fallu les stocker deux ans et demi avant de les poser au plafond de l’entrée.

Les écuries de tôle se remplissent vite, le couple installe un grand barnum et stocke aussi sur le chantier. « Heureusement qu’on avait notre meilleur ami : le transpalette! 100 € bien rentabilisés, on pouvait déplacer facilement sur la dalle les bottes de paille ou les fenêtres sans les abîmer et sans nous abîmer », sourit Sarah.

Une partie de cette dalle est en bois de réemploi acheté à des entreprises qui s’en séparaient ou récupéré chez un oncle entrepreneur. « Quand on allait voir mes parents à Paris, on revenait la remorque pleine après être allés fouiner dans les restes de chantier et tout ce qui ne servait à rien dans ses hangars, se souvient Julien. Depuis, il s’est fait un grand rayonnage, s’est acheté un chariot élévateur, a tout rangé et il propose à ses clients du réemploi ! »

Pas si dur en structure

La charpente est dénichée sur Leboncoin, vendue par un ancien couvreur qui l’a gardée des années après qu’elle ait été démontée d’un très vieux hangar. « On a récupéré pour la moitié du prix neuf de magnifiques poutres de 11 m, bien droites, de section 25 x 25 et 30 x 30 cm », s’enthousiasment les autoconstructeurs. Le bureau d’études structure accepte la charpente de réemploi, « mais il a minimisé la section par sécurité, en considérant dans ses calculs que le 25 x 25 cm était du 15 x 15 cm en douglas neuf. Alors qu’il doit être bien plus solide ! ».


Enquête : Dans les énergies renouvelables, le réemploi avance timidement

ENERGIES RENOUVELABLES

Poêles à bois, chaudières, panneaux photovoltaïques, chauffe-eau solaires… Le réemploi se fraye à petits pas une place parmi les équipements à énergie renouvelable.

Les équipements fonctionnant aux énergies renouvelables (EnR) sont encore mal implantés dans les circuits de réemploi. Poêles et chaudières à biomasse, chauffe-eau solaires, panneaux photovoltaïques… Leurs technologies ont évolué, rendant les performances d’anciens modèles moins adaptées aux contraintes actuelles. D’autant que ce genre de matériels techniques plus ou moins complexes peuvent poser des questions de sécurité ou de pollutions. « Il faut vraiment savoir d’où ils viennent, qui les fournit et comment, insiste Sophie Costeau, du distributeur de réemploi La Grande Conserve, à Lodève (34). Certains défauts se voient aisément, comme l’état des joints d’un poêle, des fentes dans la fonte… Mais notre structure n’est pas qualifiée pour juger des critères plus pointus, donc on ne s’engage pas sur leur fonctionnement. » Heureusement, la cause est loin d’être perdue ! Il arrive, par exemple, à la plateforme de réemploi Patxa’ma, dans le Pays basque, de proposer des panneaux solaires, chaudières et pompes à chaleur. Des alternatives existent et d’autres se préparent.

Les poêles entretiennent la flamme

Les poêles sont relativement fréquents parmi les systèmes de chauffage de réemploi. Essentiellement des modèles simples à bûche, le granulé étant plus récent. Autorénovateur à Botz-en-Mauges (49), Jérôme Fior a acheté le sien 300 € via Leboncoin, « à un particulier donc je n’ai pas pu le tester. C’est un risque. J’en avais acheté un premier pour 80 €, mais le coût des pièces pour le réparer valait plus qu’un poêle neuf ! ». Philippe Guilbaud, autoconstructeur à Loubieng (64), a aussi déniché son poêle sur Leboncoin. « Le thermicien qui a réalisé l’étude thermique de ma maison m’a dit quelles caractéristiques il fallait, je lui ai envoyé l’annonce pour qu’il valide le choix du modèle. Chez le vendeur, j’ai bien vérifié son état. C’est un petit poêle très simple, donc il présente peu de risque. » Les conduits double peau d’évacuation des fumées sont quant à eux neufs. « Ceux d’occasion ont plein de sections différentes, je n’ai pas trouvé un ensemble adapté à ma configuration. »

Il arrive à éco’Mat 38 de proposer des poêles d’occasion, « souvent très anciens donc non conformes à la réglementation actuelle, pointe Bruno Jalabert, son directeur. Soit ils sont pris en l’état par le client qui en assume la responsabilité, soit on les désassemble pour une valorisation fine des pièces par recyclage ».


S’approvisionner : Comment mettre la main sur le seconde main



Les sources pour se fournir en matériaux et équipements de réemploi sont nombreuses mais souvent dispersées. Conseils et bonnes adresses pour s’approvisionner sans s’égarer.

Listez vos besoins, puis vos ressources. « Ensuite, à chaque achat ou récupération, on rentre les données dans un tableur, en même temps que les matériaux dans le stock, conseille l’Atelier moins mais mieux. Cela peut paraître fastidieux ou inutile, mais après plusieurs mois, on peut facilement oublier les caractéristiques du pare-pluie ou perdre le morceau de papier sur lequel on avait inscrit le nombre de chevrons récupérés. »

Gisement le plus facile : les biens que l’on possède déjà, notamment en cas de bâtiment existant sur votre parcelle. Raphaël Fourquemin a transformé un ancien restaurant « avec 80 % de réemploi, dont plus des trois quarts démontés du site lui-même. Avant de commencer à y bâtir mon habitation, j’ai mené un sourcing pendant un an en parallèle de l’organisation, des plans, etc. Je restais en veille pour saisir toutes les opportunités ».(2)

Des plateformes physiques se disséminent

Si vous croisez un chantier, vous pouvez y demander s’il est possible de récupérer des choses. « S’il est en phase démolition, en général c’est trop tard. Mais si c’est anticipé, l’entreprise peut organiser un accès aux particuliers pour déposer ce qui les intéresse. » Il est de plus en plus fréquent que des matériauthèques éphémères s’installent au pied des chantiers.

Les plateformes de réemploi physiques pérennes se multiplient aussi. En plus de la revente de matériaux et équipements issus de déconstructions, dépôts de particuliers et d’entreprises, collectes sur chantiers ou chez des pros (bâtiment, industrie), magasins (fins de gamme, erreurs de commande, éléments abîmés…) ou débarras, certaines proposent formation, diagnostic ressources, aide ou prise en charge administrative, dépose, caractérisation, mise en relation entre fournisseur et repreneur, transport, planification, etc. Voire un reconditionnement d’éléments « bruts de démontage » pour les rendre « prêts à poser ». Certaines mettent à jour un catalogue en ligne, transforment leurs matériaux en meubles ou les restandardisent pour en faciliter le réemploi.

Leurs tarifs sont généralement 30 à 70 % moins chers que l’équivalent neuf, modulés selon la qualité du matériau, son état, sa valeur initiale, la demande, le travail nécessaire pour le remettre en œuvre, le temps et le matériel requis pour sa dépose et remise en état…

Même s’il arrive que les matériaux soient accompagnés d’une fiche décrivant ses caractéristiques, voire du récit de son histoire, ces plateformes ne sont pas (encore ?) comparables aux magasins classiques. « On a le bois, mais pas la quincaillerie nécessaire pour faire une charpente », reconnaît Cyril Bouclainville, directeur de La Matériauthèque (73). « On récupère un peu de tout, même des pièces exceptionnelles, mais ça reste aléatoire. On n’a pas tout en permanence », ajoute Édouard Baudoin, de Recyclobat (31). Des visites régulières sont de mise, car le stock évolue, « pas comme un magasin où tout est référencé sur catalogue et on a juste à commander. Il faut faire avec ce qui est disponible, explorer ». Discutez de vos besoins et laissez vos coordonnées ; « on est en veille sur les demandes, note Cyril Bouclainville. Un client nous a réclamé de la moquette, on a trouvé un chantier où en récupérer ».


Avis d’expert.e.s : Le réemploi à l’épreuve de la santé et de l’écologie



Utiliser des matériaux issus de la pétrochimie n’est pas naturel pour l’écoconstruction. Et des substances aujourd’hui reconnues toxiques peuvent se retrouver dans des éléments d’une autre époque. Mais le réemploi a aussi des atouts à faire valoir.

Le réemploi bouscule nos habitudes d’écoconstruction qui privilégient les bio- ou géo-sourcés, car des matériaux qui ne sont pas sains à l’origine peuvent devenir plus intéressants sur le plan environnemental s’ils sont réutilisés, pointe Raphaël Fourquemin, fondateur d’Idre(1). On a tout intérêt à valoriser ce qui existe déjà, quitte à ce que ce soit issu de la pétrochimie, plutôt que de vouloir à tout prix des matériaux naturels qu’il faut extraire, transformer, transporter… » D’autant que « les bâtiments démolis à l’heure actuelle sont anciens ou des années 1960, 1970, 1980 ; rarement des bâtiments contenant des biosourcés, en général plus récents, constate Bruno Jalabert, d’Éco’Mat 38. Sur le bâti ancien, on récupère toutefois du géosourcé réemployable : terre à pisé, pierre… ».

Lui estime que « le bilan carbone rend toujours plus pertinent d’utiliser un matériau non naturel de réemploi plutôt qu’un biosourcé neuf ». À une nuance près : « L’appréciation de l’impact environnemental global d’un élément de construction […] doit aussi tenir compte du transport, insiste le programme FCRBE(2). Certains lots [de bois de réemploi] sont importés depuis l’Amérique du Nord ou l’Asie du Sud-Est. Il peut être plus intéressant de recourir à des filières locales engagées dans une gestion responsable que d’importer de l’autre bout du monde. »

Audrey Bigot et Martin Barraud(3) contestent même : « Notre positionnement est de réemployer et valoriser de “bons” matériaux : qui sont les moins néfastes pour les êtres vivants et les plus efficients thermiquement. Les plus vieilles maisons isolées en paille ou en ouate de cellulose ont respectivement 100 et 200 ans et sont toujours efficaces. Ces isolants ont donc, selon nos critères, plus de valeur, et plus d’intérêt à être valorisés. On peut avoir la réflexion inverse : prolonger en priorité la vie des matériaux qui ont le plus pollué lors de leur fabrication. Notre avis est qu’il ne faut pas pour autant en faire la promotion. »

Biosourcés neufs vs pétrochimie de réemploi

D’autant qu’on commence à trouver des biosourcés de réemploi chez les distributeurs. Et même s’ils sont rares sur les chantiers de déconstruction, « les biosourcés sont aussi victimes de gaspillage », insistent Audrey et Martin, qui ont isolé leur habitat avec des chutes de panneaux de laine de bois neufs vouées à la benne, comme Samia Fseil en complément de chutes d’isolants en coton recyclé. « Réemploi et biosourcé doivent coexister, pas s’opposer. Ils sont sur les mêmes dynamiques de réduction des extractions de matières, des transformations et des déchets », tranche-t-elle tout en militant pour « privilégier ce qu’on a sous la main ».

Y compris si ce doit être un matériau d’habitude banni en écoconstruction. « Au lieu qu’elle soit enterrée en décharge alors qu’elle peut encore servir, je donne une chance à ta laine de verre de rester un isolant », revendique Édouard, de Recyclobat (31). Sophie Costeau, de La Grande Conserve (34), fixe aussi pour priorité de « limiter l’exploitation des ressources naturelles. Mais je ne dis pas qu’il faudra toujours privilégier un matériau de réemploi, beaucoup de critères entrent en compte. Je préfère isoler en paille qu’en laine de roche ou de verre réemployée, pour une question de confort dans l’usage du bâtiment, qui influe sur le mode de chauffage et l’économie d’énergie, la perspirance des parois, la gestion de l’humidité… ».


Décryptage : Le vrai / faux du réemploi

réemploi

Les préjugés sont légion autour des matériaux et équipements de seconde main. Avant de déconstruire nos logements, déconstruisons les a priori qui collent à la peau de la récup.

Un élément ancien est de moindre qualité

› « On nous dit souvent qu’un WC de réemploi, ce n’est pas propre. Mais il est désinfecté, reconditionné ; il n’y a aucune différence avec un neuf », grince Lisa Caraux, architecte chez Remix réemploi et matériaux. Les circuits de réemploi comptent même de nombreux éléments neufs : fins de série ou de stock, erreurs de commande ou de cotes, restes de chantier… « Des compositions de métaux étaient même meilleures à l’époque où la question de la disponibilité des ressources ne se posait pas », pointe Christophe Audoly, de Raedificare. De même, « l’augmentation du prix du combustible après le choc pétrolier a obligé les industriels à baisser les températures de cuisson. En ce sens, les briques produites avant 1974 possèdent une qualité supérieure à n’importe quel équivalent produit depuis lors », décrit Rotor(1). Autre exemple : « La couche d’usure qui forme le motif est de 2 ou 3 mm sur des carreaux de ciment neufs, illustre l’architecte Raphaël Fourquemin. Sur ceux d’il y a un siècle, elle fait 5 à 10 mm. »

Réemployer, c’est plus compliqué

› Le réemploi peut induire « des complications dans la mise en œuvre, car des éléments ne sont pas bien droits, ne s’adaptent pas exactement aux dimensions prévues », note l’autoconstructeur Jérôme Fior. Mais des tuiles anciennes se posent de la même façon que les neuves. « Le bois neuf n’a jamais travaillé, il est plus simple à utiliser que du bois de réemploi, qui peut aussi contenir des pointes, etc. Les sections précises sont plus rares, donc il faut parfois adapter la conception, liste Célia Auzou, architecte fondatrice de Re.Source. Mais il a eu tout le temps de sécher, or pour trouver du bois neuf sec, il faut se lever tôt ! Les poutres neuves qui complètent une dalle en bois de réemploi sont si vertes qu’on a dû les contraindre avec d’énormes étais pour qu’elles ne flèchent ou ne vrillent pas en séchant. » Des bureaux d’études ou Assistants à maîtrise d’ouvrage (AMO) sont « le joker pour faciliter le réemploi ; on accompagne sur les questions opérationnelles, mais aussi assurantielles, techniques… », indique Marine Supiot, de Minéka. Louise Dubois, designeuse matériau à l’Atelier Aïno, rappelle que « le réemploi existe depuis des milliers d’années, ce n’est pas révolutionnaire! ».

Impossible de mener un chantier 100 % réemploi

› La maturité de cette filière naissante ne permet pas de mener la construction ou la rénovation globale d’un logement totalement en réemploi « avec les objectifs de confort et de performance énergétique d’aujourd’hui, précise Raphaël Fourquemin, qui a créé sa maison avec 80 % de réemploi. Principalement à cause de l’isolant, car celui qui sort des déconstructions actuelles est surtout de la laine minérale, qui vieillit très mal. Mais en-dehors de ce poste, on peut aller très loin. 50 %, c’est déjà super, car la plupart des chantiers volontaires ne visent encore que 5 à 10 % ». En 2022, moins de 1 % des déchets du bâtiment sont réemployés et les politiques publiques visent… 2 % en 2024, 4 % en 2027 et 5 % en 2028.


Reportage rénover : La Maison circulaire

MAISON CIRCULAIRE

Dans le Beaujolais, Naomi et Charles ont rénové un pavillon des années 1970 avec une exigence : favoriser le plus de réemploi et de recyclage possible. Le couple a sauvé de la benne plus de 10 000 kg de déchets

À peine arrivée dans la pièce de vie, à la fois cuisine, salle à manger et salon, Naomi annonce la couleur : « Tout ce que tu vois autour de toi est issu de réemploi, de recyclage ou de don. La plaque à induction est presque la seule chose neuve. » Les yeux parcourent l’espace et réalisent que « tout » inclut à la fois le mobilier à la mode vintage-chic, le carrelage au sol imitation bois, la cuisine, l’électroménager, les menuiseries intérieures, la peinture blanche, l’isolant caché dans les murs… Vertige ! Le constat est valable pour chaque pièce de cette maison de 200 m2 à Porte-des-Pierres-Dorées, commune du Beaujolais.

En 2021, quand ils ont acheté ce bâtiment des années 1970 en parpaing de ciment, Naomi et son mari Charles ont souhaité une rénovation très économe en ressources. Un défi tel qu’ils ont remporté deux prix au concours « Green Solutions Awards » 2023 qui a calculé 10 173 kg de déchets évités sur leur chantier, soit près de 20 années d’ordures ménagères d’un Français. Tout en étant passé de la classe énergétique F à A. « Bienvenue dans la maison circulaire » , sourit fièrement sa propriétaire.

Ode à la beauté du réemploi

En servant un café à l’italienne comme elle a appris à les faire dans son pays natal, Naomi raconte comment son obsession du réemploi a commencé par un pot de peinture. Au printemps 2020, elle quitte Paris avec Charles et leurs deux bambins Leah et Noah pour se confiner chez ses beaux-parents dans le Beaujolais. Elle travaillait pour le salon Batimat et faisait de petits gestes pour la planète, tels qu’utiliser des couches lavables pour ses enfants et leur cuisiner des produits frais. Pendant cette pause forcée, elle découvre Circouleur, fabricant de peinture recyclée près de Bordeaux, trouve le concept innovant et annonce rêveuse à Charles : « Quand on aura notre maison ici, on peindra tous nos murs avec de la peinture recyclée ! » Le couple trouve ensuite cette ancienne maison de vignerons et Naomi postule chez le fameux fabricant de peinture en tant que business developer. « Les travaux de rénovation ont commencé le 3 janvier 2022. Le même jour, j’entrais chez Circouleur », énonce-t-elle encore étonnée par cette coïncidence. La marque s’étale désormais sur tous les murs de sa maison.


Enquête : La filière du réemploi déploie ses ailes

RÉEMPLOI

Cadre réglementaire, offres maillant le territoire, formations, métiers et services diversifiés ; le réemploi de produits et matériaux de construction pour le bâtiment est en train de cocher une à une les conditions pour pouvoir prendre son envol.

Du haut de ses 213 millions de tonnes annuelles, le secteur de la construction est le plus gros producteur de déchets du pays (68 %). C’est presque deux fois plus par habitant que dans les autres états européens. Le bâtiment représente à lui seul 46 Mt/an. Il est aussi le plus gros consommateur de ressources naturelles, alors qu’à peine 1 % des éléments de construction sont réemployés(2). Mais l’espoir est permis : déjà bien implanté en Belgique et aux Pays-Bas, le réemploi prend enfin son envol en France. Ou plutôt, redécolle, puisqu’il était courant jusqu’aux années 1950.

L’exposition Matière grise, en 2014 à Paris, a constitué un déclic dans l’Hexagone. S’il n’a jamais disparu des pratiques d’autoconstruction (moins contraintes par le temps et les normes et plus à même de s’adapter), le réemploi
(ré)émerge vraiment depuis 2017 avec le lancement de Backacia et Cycle up, deux importantes plateformes numériques de vente de matériaux. Et est en plein boom ces dernières années. « Si l’argument écologique n’a pas suffi à convaincre massivement et à transformer le marché, les pénuries et l’inflation actuelles représentent peut-être l’occasion de voir les usages et la perception de la matière changer », note Cycle up(3). « On reçoit de plus en plus de professionnels, car ils trouvent chez nous des matériaux directement disponibles, sans délais, et souvent moins chers », confie Marine Supiot, du bureau d’études et magasin spécialisés dans le réemploi Minéka.

Les acteurs entrent en scène

De nouveaux métiers naissent : assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) réemploi, diagnostiqueur déchets et ressources, valoriste… Et les plateformes fleurissent, proposant de multiples services : collecte et revente, diagnostics, dépose sélective, aide à la conception, AMO, reconditionnement, etc. Les 2 000 m2 de La Grande Conserve, à Lodève (34), sont devenus « largement insuffisants, relate sa codirectrice Sophie Costeau. On projette de mutualiser 12 000 m2 avec nos confrères de Montpellier. En ville, ils se heurtent au foncier rare et cher, alors que les gisements de matériaux y sont très importants ». Les besoins comme les offres se complètent entre milieux rural et urbain, donnant tout leur sens à des échanges entre matériauthèques.

MatAura regroupe les acteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes, de même que la Cress en Bretagne, qui mène une étude logistique avec Normandie et Aura pour mutualiser les besoins en stockage.


Vidéo : une rénovation avec 80% de matériaux de réemploi

rénovation réemploi

Chez Raphaël et Julie, le réemploi est roi. Pour transformer cet ancien restaurant du centre-ville de Pau en une habitation bioclimatique, ils ont réutilisé ou détourné les matériaux et équipements de l’ancien bâti ou d’autres récupérés ailleurs.

 

Reportage complet paru dans notre magazine n°133 (février-mars 2023) et vidéo ci-dessous offerte avec grand plaisir aux internautes curieux arrivés jusqu’ici. Lire la suite