Dossier : Bois : à la rescousse

35 DOSSIER BOIS

Prisée pour sa nature renouvelable et grande gagnante de la RE2020, la construction en bois va encore se développer.

Un bon point pour les émissions de carbone. Mais la forêt française pourra-t-elle suivre cette évolution ? Pour la protéger, il faut imaginer de nouvelles pratiques. Essences, sections, besoins ;
les nouveaux usages émergent.

Décarboner le secteur du bâtiment, qui représente près de 19 % des émissions de CO2 en France, est un enjeu déterminant pour atteindre la neutralité carbone en 2050. L’objectif est d’augmenter significativement la part des logements construits en bois ou autres matériaux biosourcés, chiffrés à 6 % en 2018. Avec la réglementation RE2020, la construction bois devient le système constructif de référence pour les maisons individuelles et la Fédération nationale du bois(1) vise 30 % en 2030. La stratégie nationale bas carbone prévoit même de tripler la production de matériaux issus du bois entre 2015 et 2050. Quoi de plus naturel sur un territoire couvert à 31 % par la forêt ? Sa surface a doublé en 200 ans et on prélève un peu plus de la moitié de son renouvellement. Construire davantage en bois paraît ainsi possible.

D’après l’IGN(2), la disponibilité annuelle en bois d’œuvre augmentera dans les 20 prochaines années : plus de 800 Mm3 en feuillus et 600 Mm3 en conifères. Mais une grande inconnue demeure : l’évolution de la forêt face au changement climatique. Les nombreux signes de dépérissements sont déjà alarmants. Les feux de forêt et sécheresses s’accentuent. Les parasites et les insectes ravageurs augmentent (lire encadré p. 38). Épicéa, hêtre, chêne, bouleau… et sapin sont menacés. D’après l’ONF, c’est la première fois qu’un tel phénomène touche autant d’essences forestières. Le taux de mortalité des arbres a augmenté de 54 % en 10 ans(3).

Côté plantation, 2022 est une très mauvaise année(4), avec 38 % d’échecs. Parmi les essences les plus touchées figurent le sapin de Bornmüller, le mélèze hybride, le douglas et les chênes sessile et pédonculé. Enfin, l’accroissement des forêts ralentit de 10 % environ (sans compter la hausse des prélèvements) ; la production biologique nette est de 4,8 m3/ha.an, contre 5,3 il y a 10 ans.


Territoire : L’écoconstruction par-delà les murs

12 TERRITOIRE OIKOS écoconstruction

Le mot grec « oïkos » signifie « maison » et a donné le préfixe « éco » de « écologie », notamment.

De là à dire que l’écologie prend racine dans la maison ? C’est ce que croit l’association Oïkos, pionnière de la promotion de la construction et la rénovation écologiques.

Plus précisément nommée « Oïkos, la maison, son environnement », elle démontre depuis plus de 30 ans qu’un bâtiment ne peut pas être coupé de son contexte. Il interagit avec le soleil, est constitué de ressources prélevées de la terre… Preuve avec son siège, l’écocentre du Lyonnais situé à La Tour-de-Salvagny (69) : un bâtiment bioclimatique, en bois et bottes de paille, enduit d’une terre rougeâtre, couvert de panneaux solaires et avec 2 ha de jardin, gérés par l’association de préservation des insectes Arthropologia et fourmillant d’aménagements favorables à la biodiversité. L’environnement du bâtiment, chez Oïkos, ce sont aussi les humains. L’association crée un lien entre novices, porteurs de projets, collectivités et professionnels pour augmenter le nombre d’acteurs de l’écoconstruction en Auvergne-Rhône-Alpes. Tout un oïkos-système !

Éduquer, accompagner, former pour une transition réelle

Neuf salariés y travaillent d’arrache-pied, répartis en trois pôles : sensibiliser, informer et former. Flavie Widmaier s’occupe du premier, accompagnée de Johan Coladon. Elle le décrit comme « la porte d’entrée vers l’écoconstruction » ayant pour objectif de « cueillir un public pas forcément initié ». Avec une centaine d’animations par an, comme des activités dans les écoles sur la gestion de l’eau ou des balades commentées en famille sur le patrimoine en pisé, ce pôle touche entre 1 500 et 2 000 personnes par an.


Ecoconstruire : Maison bois sur ses pieux perchée…

ECOCONSTRUIRE MAISON BOIS PIEUX PERCHEE

Afin de s’assurer un chantier rapide, Hans et Laure Février ont fait le choix de la technique ossature bois et d’une conception simple et optimale pour ériger leur maison dans l’Aisne.

Il était temps. Le projet de construction de Hans et Laure Février démarre en 2017 : « On vivait depuis plusieurs années dans une maison humide et peu lumineuse. On était donc d’autant plus motivés à faire tout le contraire ! », se souvient Laure. Le couple oriente ainsi l’architecture de leur future maison vers un schéma bioclimatique, ouvert vers le sud. Résidant dans un territoire de l’est francilien, desservi par le RER et où la pression urbaine s’accroît, Hans et Laure peinent à trouver un terrain constructible. Finalement, leur attention se porte sur une parcelle de 750 m² située à Domptin, dans l’Aisne, près du village où ils habitent. « Elle était bien orientée, mais bordée par un ruisseau, donc soumise au risque d’inondation. C’est pourquoi personne n’en voulait, car il fallait construire à plus de 60 cm du sol », retrace Hans. Pour faire face à cette contrainte, et par souci d’économie de matériaux, le couple décide de construire sur des pieux métalliques (Technopieux), enfoncés à 4 m.

« On voulait une maison assez grande – nous avons trois enfants en bas âge –, simple, qualitative et efficiente, sans partir dans un projet trop chronophage pour que le chantier n’ait pas trop d’impact sur notre vie de famille », résume Laure. « On s’est donné un an maximum pour construire le tout, ajoute Hans. C’est pourquoi nous avons écarté d’emblée l’idée d’autoconstruire notre maison en paille et en bois, ce qui aurait nécessité plus de temps, et avons choisi l’ossature bois avec une isolation plus rapide à mettre en œuvre. » La sobriété du projet s’inscrit dès le départ, dans le calcul de la surface habitable. « On imaginait d’abord 100 m² au total, mais cela nous privait d’espaces de rangement. 30 m² par personne environ nous a paru plus raisonnable, et le projet a abouti à 144 m² », détaille Hans.

Sur les conseils d’un ami architecte, la forme adoptée ainsi que l’organisation de l’espace ont eu pour objectifs de simplifier le chantier et réduire les coûts.

« La maison en R+1 sans cave ni grenier a une forme rectangulaire qui limite les coupes, donc les chutes dans la construction de la structure bois. Par ailleurs, on a placé un poteau métallique au cœur de la maison, sur lequel repose une poutre qui accueille le solivage du rez-de chaussée, puis une cloison porteuse en bois à l’étage. Cela permet de remplacer des poutres porteuses type lamellé-collé par des cloisons légères mais robustes au rez-de-chaussée. »


Enquête filière : Hausse du prix du bois : Quelle issue et quelles alternatives ?



Depuis deux ans, les prix du bois de construction explosent et les délais d’approvisionnement s’allongent.

Face à ce phénomène, faut-il reporter son projet, renoncer au bois ou trouver une alternative ?

Nous sommes passés de 450 à 970 € HT/m3 pour le douglas. C’est le prix du chêne ! Les prix sont ahurissants. Et les délais d’approvisionnement s’allongent énormément, de quelques mois à plus d’un an d’attente. Nous sommes obligés de faire des devis valables seulement une semaine », témoigne Fabien Ravion, charpentier à Saint-Claude-de-Diray, dans le Loir-et-Cher, à la fin du premier trimestre 2022. La filière bois aurait-elle perdu la tête ? Alors qu’il n’y a ni pénurie de ressource forestière, ni diminution de la production de sciage, charpentiers, négoces, magasins de matériaux écologiques et scieurs sont impactés.

En cause, la reprise de l’activité après la pandémie de Covid a entraîné une pénurie de matériaux. En même temps, un différend entre Canadiens et Américains a poussé ces derniers à venir se fournir en Europe, proposant des prix élevés pour les grumes ou les bois aboutés. L’Allemagne, l’Autriche et la Scandinavie se sont ruées sur ces marchés plus lucratifs, délaissant leurs marchés historiques, dont la France. « En mars 2021, beaucoup de charpentiers se sont retrouvés sans matière, du jour au lendemain », souligne Thibaud Surini, conseiller à Fibois Grand-Est, l’interprofession des métiers de la forêt et du bois. Ces bouleversements sur le marché international ont entraîné une forte hausse des prix du bois de construction au premier semestre 2021 : 20 % en France, 50 à 100 % en Europe, 200 à 300 % aux États-Unis(1).

Néanmoins, tous les bois ne sont pas logés à la même enseigne. Olivier Lang, gérant d’Avenir et bois, une entreprise de construction de maison en ossature bois et vice-président de la FFB 67, distingue les « bois sur liste », c’est-à-dire sortis de forêt, sciés, rabotés et séchés, produits majoritairement en France, et les bois techniques, aboutés ou lamellés-collés, qui sont usinés et collés, préférés au bois massif pour leurs qualités de stabilité et de résistance et qui viennent souvent de l’étranger. « Le prix des bois de liste a augmenté de 15 à 20 %, c’est un ajustement logique par rapport à l’offre et la demande. Par contre, pour les bois techniques, comme les épicéas et bois du Nord qui sont importés, l’augmentation a été très marquée, à plus de 200 %. » 

Après la flambée, les prix se sont stabilisés à l’automne 2021, mais l’augmentation du prix de l’énergie maintient des prix élevés. Et la guerre en Ukraine accentue le manque d’approvisionnement. « Deux usines ukrainiennes de panneaux de bois sont à l’arrêt et l’approvisionnement en bois, comme le mélèze de Sibérie, est très compliqué. Il manque 15 à 20 % de ces bois. Le problème va devenir sérieux… Depuis le début de la guerre, nous avons encore repris 30 % sur les prix des bois aboutés », ajoute Olivier Lang.

À Voreppe (Isère), la scierie Sillat vend ses propres bois massifs, mais également des bois techniques importés. Pour les contreventements, comme les panneaux type OSB 3 qui viennent d’Allemagne, l’augmentation est spectaculaire : de 5,80 à 16 €/m2. Les bois aboutés, séchés et rabotés sont passés de 550 €/m3 en 2020 à 1 046 €/m3 au printemps 2022. Une charpente de toit coûte ainsi deux fois plus cher qu’en 2020! L’augmentation concerne aussi les bardages en douglas, note le vendeur : « Le douglas est passé de 14 à 24,60 €/ml en quelques mois. Mais le problème, c’est surtout que je n’en ai plus. On croule sous les demandes ! »


Écoconstruire : Leur maison paille se passe de chauffage

ECOCONSTRUIRE

À l’ombre de grands cèdres, dans la Vienne, la maison bois-paille de Sophie et Arnaud a été conçue pour répondre à leur envie de sobriété : chez eux, pas de système de chauffage en hiver, ni de climatisation en été.

Dès ma plus tendre enfance, je rêvais d’une maison en bois au milieu de la forêt », raconte Sophie. Originaire du Limousin, son père charpentier l’a élevée dans l’univers du bois, un « matériau inscrit dans [s]on ADN ». Après avoir vécu de nombreuses années en location avec leurs deux garçons Isao, 18 ans, et Julen, 8 ans, Arnaud, professeur d’éducation socioculturelle, et Sophie, assistante maternelle, ont eu envie d’un refuge familial à leur image, en accord avec leurs convictions et leur façon de vivre. « On a d’abord cherché une longère et une grange à retaper », retrace Sophie. La découverte d’une parcelle de 1 800 m2 idéalement située en sortie du bourg de La Chapelle-Moulière (86), à deux pas de la forêt de Moulière, provoque un déclic. Le terrain « entièrement clos et arboré, se prêtait à merveille au projet d’une maison bois bioclimatique parfaitement intégrée au paysage », confie Arnaud. Pour rester dans l’écologie tout en se décidant à entamer un projet de construction, ils optent finalement pour « une maison ossature bois isolée en paille ». 

Apports solaires et confort d’été

Sophie et son fils Isao dessinent les plans de la maison en 3D et le bureau d’études Imagerie 3D, à Vouillé (86), établit les plans de construction. Ophélie Largeau, thermicienne, réalise quant à elle une étude thermique pour conseiller les propriétaires qui veulent s’approcher du passif. « Cet objectif ne pouvait être atteint qu’en trouvant un juste équilibre entre l’épaisseur de l’isolation, la surface de baies vitrées, la qualité de l’étanchéité à l’air, la performance de la VMC double flux et les matériaux intérieurs, avec l’objectif de se passer de chauffage et de climatisation »,
explique Ophélie.

L’orientation bioclimatique de la maison est mûrement réfléchie. En hiver, les grandes surfaces vitrées (28 m2 de vitrages) au sud et à l’est permettent de profiter de la chaleur du soleil. Un apport passif de chauffage, renforcé par le choix d’un triple vitrage doté d’un filtre Solar XPlus (Internorm) dont le traitement de couche est destiné à optimiser l’apport solaire. Pour le confort d’été, les protections solaires ont aussi été passées à la loupe : « Au sud, un débord de toit de 90 cm évite le rayonnement solaire à l’étage pour prévenir la surchauffe tout en laissant passer les rayons en hiver, car le soleil est alors plus bas », poursuit Ophélie. À l’est et à l’ouest, des stores en bambou amovibles et posés à l’extérieur protègent de la chaleur.


Vue d’ailleurs : En Belgique, un bâtiment 100% local

bâtiment 100% local VUE D AILLEURS La Maison écologique 128

À Namur, au sud de Bruxelles (Belgique), des entrepreneurs de l’écoconstruction ont érigé un bâtiment 100% local mi-expérimental, mi-totem. Pour encourager le recours à l’ossature bois, l’isolation paille ou aux Techno-pieux, ses concepteurs ont testé des techniques, en se reposant sur des ressources locales.

Un bâtiment 100% local

Son nom : Up Straw. Une référence au projet européen dans lequel s’insère la construction*. Mais surtout, un nom qui sonne comme un appel à faire monter la paille (« straw » en anglais), à l’élever au rang des matériaux incontournables pour les constructions sobres et performantes. « Avec Up Straw, nous voulons faire avancer l’écoconstruction en Wallonie. La faire valoir mais aussi valoriser le travail des entreprises qui existent déjà », explique Caroline Broux, architecte au sein de l’agence Hélium, partie prenante du chantier et cofondatrice du Cluster écoconstruction wallon qui réunit près de 260 professionnels pour sensibiliser et promouvoir la construction écologique. Le nouveau bâtiment, fraîchement achevé en août 2021, accueille l’administration du Cluster ainsi qu’un espace de coworking, et fait office d’avant-garde. Là-bas, les constructions bois avoisinent 12 à 15 % des chantiers neufs. « Si l’on ajoute le critère isolants biosourcés tels que la paille ou l’herbe, alors ce taux doit tomber à 6 ou 7 % maximum », estime Hervé-Jacques Poskin, délégué général du Cluster né en 2003. D’après lui, les clichés ont la peau dure : « En Belgique, on peut dire que les trois petits cochons ont fait du tort à la paille. Le pays a encore la brique dans le ventre. » 

Mais la suite de l’histoire n’est pas encore écrite. Dans le secteur, plusieurs entreprises, comme Paille tech dans la construction paille ou Mobic dans la construction bois, se sont lancées dans l’aventure depuis au moins 15 ans. Des écoles, des supérettes ou encore des maisons individuelles témoignent de l’attrait que l’isolant des champs suscite. Avec Up Straw, l’idée était d’aller encore plus loin en expérimentant des techniques de préfabrication. « Nous avons travaillé avec des bureaux d’études et des entreprises qui travaillent sur des maisons individuelles. Nous avons utilisé et adapté leur savoir-faire pour faire un bâtiment de bureaux, en éprouvant des techniques sur le remplissage paille et l’usage de grumes de bois peu transformées », illustre Caroline Broux.

Pour ce bâtiment, le principe constructif n’est pas totalement nouveau. Mais pour chaque étape, le collectif s’est donné à cœur joie pour tester de nouvelles manières de faire. Première intention : réaliser des caissons 3D, en atelier, et expérimenter une alternative à la paille en bottes pour l’isolation. « À partir de ballots, nous avons utilisé de la paille en vrac…


Ecoconstruire : Une maison paille dans la pente

maison paille

Au cœur du quartier de Pommeil, à Guéret (23), la maison paille de Delphine et Benoît German se fond littéralement dans le paysage. De la route, son toit végétalisé émerge comme un premier plan sur la ligne d’horizon.

Le couple a décidé de poser ses valises sur un terrain fortement en pente en 2017. D’abord pour répondre au projet d’agrandissement familial, mais aussi par désir d’un habitat écologique. « On habitait une maison des années 1950 dans le quartier de Pommeil auquel nous sommes très attachés. Il n’était pas question de faire construire ailleurs. L’idée était aussi de ne pas favoriser l’étalement urbain et de s’insérer dans la vie du quartier », raconte Delphine, 41 ans, fonctionnaire territoriale.

À quelques encablures de chez eux, une parcelle d’environ 1 000 m2, orientée sud-ouest, profitait d’une belle vue sur les toits de Guéret et sur l’arrondi des collines et des puys. « Ce terrain dont la pente est d’environ 20 % (dénivelé de 7 m entre le haut et le bas) était cultivé en potager par un voisin. Je passais à pied devant tous les jours. J’ai contacté le service du cadastre pour connaître le nom du propriétaire, à qui nous avons fait une proposition d’achat », se souvient-elle.

Une maison paille en paliers

Le projet : une maison sobre, en ossature bois isolée en paille et modulable pour l’arrivée du petit troisième, Elzear, qui naîtra quelques jours après l’emménagement en août 2017. « On a cherché des architectes locaux avec la certification pro-paille du Réseau français de la construction paille (RFCP) et le courant est bien passé avec le duo creusois Pierre Barnérias et Charlotte Cornevin », poursuit Delphine. De son côté, Benoît, 43 ans, pense réaliser quelques-uns des travaux tout en poursuivant son travail d’éducateur sportif.

Compte-tenu des pentes du terrain, le projet de construction oscillait entre deux possibilités : construire une maison de plain-pied montée sur pilotis ou bien construire une maison en paliers avec une partie basse en rez-de-jardin et un plateau en partie haute.


Alternatives : Il a sauvé sa cabane dans les bois

cabane dans les bois

Une utopie et deux ans de démêlés judiciaires. En 2021, Yannick a obtenu la garantie que sa maison perchée ne sera pas détruite. Un combat peu ordinaire.

Après avoir sillonné un chemin forestier, crapahuté entre les chênes verts des Alpes-de-Haute-Provence, voici qu’apparaît la cabane de Yannick. Suspendue entre ciel et terre, presque cachée, elle s’accroche à un majestueux pin d’Alep. « Le Roi » comme l’appelle Yannick. Une passerelle de bois clair invite à venir toquer à la porte. Quand elle s’ouvre, Yannick, 43 ans, d’humeur joviale, présente le cocon dans lequel il vit depuis 5 ans et qu’il a failli perdre en 2019, quand une décision de justice lui a intimé de la démonter. Avec sa petite trentaine de m2 couverts, isolés et douillets, sa maison est loin de la simple branche habitée par l’ermite du Combat ordinaire* de Manu Larcenet.

Une architecture ouverte : une cabane dans les bois

Vivre en cabane, il l’a choisi pour des raisons économiques, en mettant en balance le coût de l’habitat et son confort de vie. Et il insiste : ce n’est pas un engagement écologique qui l’a en premier lieu décidé à adopter ce mode de vie mais plutôt un désir de sobriété et l’envie de créer des astuces qui lui permettent de vivre bien dans un « confort moderne » réduit au minimum. Sa maison a d’ailleurs pris forme au fur et à mesure du chantier. En créant une mezzanine pour son couchage, plutôt qu’un étage, il a par exemple gagné une pièce de vie « plus conviviale » et très ouverte en hauteur grâce au faîtage qu’il a établi à 4,60 m.

Avec sa grande baie vitrée, qui donne accès à la terrasse, la pièce s’ouvre sur la forêt, présente à perte de vue, et sur les sommets montagneux. Une nature et un horizon qui manquaient à la vie de Yannick.

Du rêve à la réalité, l’avant-projet

Après des études de commerce, puis d’assistant social, Yannick a enchaîné plusieurs boulots sans y trouver son compte. L’argent était rarement au rendez-vous. La chaleur humaine non plus. Les compromis ne lui conviennent pas, jusqu’à sa rencontre avec une petite équipe de charpentiers ayant créé une Société coopérative de production (Scop) dans la construction bois. Il participe alors à la création de cabanes pour un projet touristique dans les Hautes-Alpes. Une révélation. Cet habitat lui apparaît simple, peu coûteux et connecté à la nature. Il lui évite « l’harnachement au travail » et « les menottes » du crédit bancaire tout en étant bien logé.


Ecoconstruire : Béton chanvre, s’insérer sans bousculer

PREMIERE MAISON BETON DE CHANVRE

Quelque temps après son emménagement dans cette maison pourtant flambant neuve, un voisin glisse à Marie : « On a l’impression qu’elle a toujours été là. » 

C’est « le plus beau compliment qu’on puisse faire à un architecte en construction neuve, se réjouit Carole Halais, l’architecte du projet. Pour déterminer l’implantation du bâti, nous avons mené dès le début, avec la propriétaire, un travail sur plan de masse. Pas seulement celui de la parcelle, mais de tout le village. Car vous ne construisez pas que pour vous, mais aussi pour les gens autour et ceux qui verront, génération après génération, ce bâtiment dans le village ».

Architecte et maître d’ouvrage regardent comment les maisons s’organisent dans le village, comment elles sont orientées, construites. Le respect du terrain naturel évite aussi d’importants frais de décaissement qui dénaturerait les lieux. Le duo maintient la pente pourtant forte (14 %), les arbres présents et autres plantations. « Si on s’attachait à la vue, la maison aurait dû être orientée vers la vallée à l’est, décrit Marie. Sauf que toutes les maisons du village ont la façade au sud, ce qui correspondait à la conception bioclimatique qu’on recherchait » pour optimiser le comportement énergétique du logement.

Insertion en toute discrétion

Le rapport aux autres, à l’extérieur, explique aussi l’absence de portail. « On est dans le cœur d’un village, donc je voulais quelque chose d’ouvert. On ne sait pas exactement si l’accès au terrain est un espace public ou privé, mais les gens ne rentrent pas », décrit Carole Halais. Cette insertion tout en délicatesse fait écho à l’intégration du chantier dans une économie locale. Marie souhaitait faire bâtir sa maison avec un matériau présentant une énergie grise(1) la plus faible possible. Elle appréhende la sensibilité de la paille à l’humidité en cas de fissure des enduits extérieurs. Quant au terre-paille, « il faut le mettre en œuvre soi-même, sinon ça coûte très cher. Puis, j’ai découvert le chanvre, une plante qui n’a besoin pour pousser ni d’engrais, ni d’arrosage et les performances du béton de chaux-chanvre permettent d’obtenir une maison Basse consommation ».

La première maison en France en béton de chanvre

Elle visite une construction en béton de chanvre et trouve « l’acoustique feutrée, confortable ». Son choix est confirmé et son cocon, achevé en 2012, sera « la première maison en France en béton de chanvre projeté à être certifiée BBC », souligne Carole Halais. « Il me restait à trouver quelqu’un pour le mettre en œuvre, retrace Marie. J’ai contacté la chambre des métiers, qui m’a donné un seul nom de maçon maîtrisant cette technique dans le secteur : Frédéric Clerfayt, basé à 10 km d’ici. »


Travaux : Mur bois-paille dans les règles de l’art

Mur en botte paille

Pour Autoconstruire en bottes de paille, les recettes ne manquent pas, mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. pas à pas sur les bonnes pratiques avec un formateur Pro-Paille.

Sur la table de chevet des autoconstructeurs paille trônent souvent les Règles professionnelles de la construction en paille, rédigées par le Réseau français de la construction paille (RFCP). En pratique, le réseau propose également des formations Pro-Paille, destinées aux professionnels ou amateurs dotés de bases solides en construction. Pendant une semaine, les gestes et notions essentielles pour la qualité de la mise en œuvre et la pérennité d’une construction en paille sont passés en revue. Emmanuel Deragne, formateur Pro-Paille et accompagnateur à l’autoconstruction de maisons ossature bois (MOB) et paille, précise : « Les règles de la construction en paille ne proposent pas un modèle défini de mur, mais plutôt un ensemble de pratiques vertueuses qui ont fait leurs preuves, au niveau de la conception
et de l’exécution. » 

Au rayon des vigilances incontournables : conception de l’ossature bois, contrôle et maîtrise de l’humidité en amont, pendant et après le chantier, mise en œuvre de la paille, traitement de l’étanchéité à l’air, gestion des points caractéristiques (menuiserie, étage, etc.), application des enduits intérieurs en terre. Selon ces règles, Emmanuel Deragne propose une méthode financièrement et techniquement adaptée à l’autoconstruction, inspirée de la technique ossature bois plate-forme pour la structure. L’approvisionnement en matériaux locaux est facile et le montage, à la portée de tous. Pour atteindre rapidement le hors-d’eau et traiter l’isolation en paille à l’abri des intempéries, il préconise un bardage extérieur, au lieu d’un enduit.