Dossier : Chanvre un isolant, vraiment stupéfiant !

35 DOSSIER CHANVRE

Pour isoler nos logements, le chanvre se met dans tous ses états : en bétons et mortiers allégés, en vrac, en panneaux semi-rigides, en rouleaux, en blocs à maçonner et même en modules de paroi préfabriqués. Au-delà de ses performances thermiques, cette plante atypique recèle bien d’autres pouvoirs… stupéfiants !

Premier producteur de cette plante en Europe, la France a initié en 2018, dans l’Aube, un Pôle européen du chanvre. En 2024, il doit réunir tous les acteurs de la filière et de ses marchés d’application, du champ aux produits finis. Parmi ses très nombreux débouchés, le chanvre constitue un matériau d’exception pour la construction et la rénovation de bâtiments.

Interchanvre, qui fédère les producteurs et transformateurs français, recense 21 700 ha cultivés en France en 2022 par 1 300 à 1 500 agriculteurs. Soit plus de 141 000 t de paille, dont 50 % de chènevotte (le tube rigide à l’intérieur de la tige) et 25 % de fibres (qui l’entourent). Cette plante annuelle semée en avril-mai se récolte de fin août à octobre. Elle n’a pas besoin d’irrigation, ni de pesticides et apprécie une terre amendée en matière organique.

Une culture du futur

Après le semis, le chanvre se débrouille seul jusqu’à sa récolte. Plus contraignante, elle nécessite un matériel spécifique et plusieurs interventions : fauchage, fanage (optionnel), andainage (mise en tas), puis pressage après rouissage (période de 10 à 20 jours où la paille reste au sol dans le champs, l’humidité et les micro-organismes dégradent les ciments pectiques liant la chènevotte aux fibres, qui deviennent plus fines et souples(1)).

Circuits courts, emplois locaux, process mécanique sans chimie… Quand le maïs stocke 2,2 t de CO2 par hectare et par an, le chanvre en capte 15 t(2). « C’est autant que 1 ha de forêt, mais le chanvre le fait dès la première année, en seulement cinq mois », s’enthousiasme Franck Barbier, président d’Interchanvre(3). C’est une plante « zéro déchet », dont tous les composants sont valorisés.

Si le bâtiment est le débouché le plus rentable pour la chènevotte, ce n’est pas le cas de la fibre, deux fois plus rentable en textile. De plus, les conséquences de la guerre en Ukraine rendent cette culture moins compétitive face au tournesol et au colza dont les prix ont grimpé en flèche. Des agriculteurs s’en détournent. « Mais le chanvre évite le recours aux engrais chimiques dont le prix a explosé, il améliore de 10 à 15 % le rendement de la céréale qui suit, l’empreinte carbone de nos exploitations, il offre un bonus pour la notation de l’utilisation de phytosanitaires, donc le coût à l’hectare reste intéressant », nuance Hervé Pottier, directeur de la coopérative agricole vendéenne Cavac Biomatériaux.

Pour développer son usage dans le bâtiment, le point noir est le manque d’entreprises capables de le mettre en œuvre sur tout le territoire. 1 600 personnes ont été formées via l’association Construire en chanvre (CenC) et l’École nationale du chanvre et ce matériau a été intégré au CAP maçon en 2021. « Un dossier a été déposé en octobre dernier pour que toutes les formations initiales aux métiers du bâtiment l’intègrent, se réjouit Philippe Lamarque, président de CenC. Début 2023, un appel à projets de l’Ademe va aussi permettre de positionner le béton de chanvre sur le marché de l’isolation thermique par l’extérieur. »


Enquête matériaux : Insuffler les isolants végétaux

ENQUETE MATERIAUX-N°129, La Maison écologique, Isolants végétaux

Souffler ou insuffler des isolants en vrac, une pratique qui se démocratise, sous l’influence notamment d’un des isolants les moins chers du marché et non moins vertueux : la ouate de cellulose (issue du recyclage des journaux). Désormais, des isolants végétaux sont capables d’être mis en œuvre par insufflation ou soufflage, avec un rapport performance/prix très intéressant.

Précision sémantique, le terme soufflage désigne ici le fait d’isoler un plancher de combles perdus par l’intermédiaire d’une machine capable de décompresser le matériau en vrac et de l’envoyer jusqu’à la zone à isoler. Quant à l’insufflation, elle concerne dans cet article le cas d’isolants en vrac envoyés sous pression dans des caissons fermés, généralement en parois verticales ou inclinées (mur et rampant).

Nouveau souffle pour les végétaux

Qui dit isolant en vrac dit peu de transformation de la matière première, donc moins d’énergie dépensée pour sa fabrication et moins, voire pas du tout d’adjuvants tels que les fibres synthétiques polyester ou polyoléfine qui participent au maintien des panneaux en fibres de bois ou de chanvre, par exemple. Corollaire intéressant, les isolants en vrac sont généralement moins chers que leurs homologues en panneaux ou rouleaux.

Pour Gabriel Martinez, coordinateur du Réseau français de la construction en paille (RFCP), « la paille hachée permet de s’affranchir du format de la botte de paille. Ce n’est plus la structure bois qui s’adapte aux bottes, mais l’insufflation qui s’adapte à l’ossature. Et, pour les fournisseurs, commercialiser la paille hachée permet de valoriser de la menue paille ». Chez le fabricant de fibre de bois Gutex, les principaux arguments de vente pour sa Thermofibre en vrac sont la rapidité de pose, l’absence de découpes et de pertes de matière et le volume de stockage réduit.

Les isolants végétaux à insuffler ou souffler se retrouvent principalement dans les parois horizontales non soumises à des conditions d’humidité importante : plancher, plancher de combles perdus. Une fois les questions d’humidité et de tassement maîtrisées par une mise en œuvre appropriée à chacun des matériaux (densité, épaisseur), ils sont aussi utilisables en parois inclinées ou verticales, en intérieur comme en extérieur. « Les professionnels les réservent aussi pour les applications où l’espace de travail est réduit et difficile d’accès ou en isolation de contre-cloison, par exemple », explique N


Cahiers pratiques : poser sa propre isolation

LA MAISON EOCOLOGIQUE Cahiers pratiques de mise en oeuvre pour poser sa propre isolation

Cahiers pratiques de mise en oeuvre : toutes les clés pour apprendre à poser sa propre isolation

  • Les outils incontournables
  • Schémas de principe
  • Poser une isolation de sol en liège
  • Isolation de façades par l’extérieur en chanvre en vrac
  • Mise en oeuvre d’une ITE en panneaux de fibre de bois
  • Réussir une ITI avec du Biofib’
  • Souffler de la ouate en combles perdus
  • Isoler en rouleaux sous rampants

Ecoconstruire : Béton chanvre, s’insérer sans bousculer

PREMIERE MAISON BETON DE CHANVRE

Quelque temps après son emménagement dans cette maison pourtant flambant neuve, un voisin glisse à Marie : « On a l’impression qu’elle a toujours été là. » 

C’est « le plus beau compliment qu’on puisse faire à un architecte en construction neuve, se réjouit Carole Halais, l’architecte du projet. Pour déterminer l’implantation du bâti, nous avons mené dès le début, avec la propriétaire, un travail sur plan de masse. Pas seulement celui de la parcelle, mais de tout le village. Car vous ne construisez pas que pour vous, mais aussi pour les gens autour et ceux qui verront, génération après génération, ce bâtiment dans le village ».

Architecte et maître d’ouvrage regardent comment les maisons s’organisent dans le village, comment elles sont orientées, construites. Le respect du terrain naturel évite aussi d’importants frais de décaissement qui dénaturerait les lieux. Le duo maintient la pente pourtant forte (14 %), les arbres présents et autres plantations. « Si on s’attachait à la vue, la maison aurait dû être orientée vers la vallée à l’est, décrit Marie. Sauf que toutes les maisons du village ont la façade au sud, ce qui correspondait à la conception bioclimatique qu’on recherchait » pour optimiser le comportement énergétique du logement.

Insertion en toute discrétion

Le rapport aux autres, à l’extérieur, explique aussi l’absence de portail. « On est dans le cœur d’un village, donc je voulais quelque chose d’ouvert. On ne sait pas exactement si l’accès au terrain est un espace public ou privé, mais les gens ne rentrent pas », décrit Carole Halais. Cette insertion tout en délicatesse fait écho à l’intégration du chantier dans une économie locale. Marie souhaitait faire bâtir sa maison avec un matériau présentant une énergie grise(1) la plus faible possible. Elle appréhende la sensibilité de la paille à l’humidité en cas de fissure des enduits extérieurs. Quant au terre-paille, « il faut le mettre en œuvre soi-même, sinon ça coûte très cher. Puis, j’ai découvert le chanvre, une plante qui n’a besoin pour pousser ni d’engrais, ni d’arrosage et les performances du béton de chaux-chanvre permettent d’obtenir une maison Basse consommation ».

La première maison en France en béton de chanvre

Elle visite une construction en béton de chanvre et trouve « l’acoustique feutrée, confortable ». Son choix est confirmé et son cocon, achevé en 2012, sera « la première maison en France en béton de chanvre projeté à être certifiée BBC », souligne Carole Halais. « Il me restait à trouver quelqu’un pour le mettre en œuvre, retrace Marie. J’ai contacté la chambre des métiers, qui m’a donné un seul nom de maçon maîtrisant cette technique dans le secteur : Frédéric Clerfayt, basé à 10 km d’ici. »


Territoire : Chanvre : Eco-Pertica innove et tisse la fibre du circuit court

Eco-pertica filiere chanvre

Dans l’Orne, Eco-Pertica, une coopérative inspirée, et membre du réseau national des Chanvriers en circuits courts, a créé une filière locale autour du chanvre et de la terre. De la conception à la mise en œuvre.Assistance à maîtrise d’ouvrage, mise en relation avec des artisans, fourniture de terre et d’isolant en chanvre fermier, location de matériels dédiés aux techniques du chanvre.

La coopérative Eco-Pertica est multitâche.

Fondée en 2011, elle est née du rapprochement d’un duo d’associations œuvrant notamment dans la rénovation écologique, toutes deux créées par Antoine Elleaume, actuel gérant de la coopérative. Auparavant chargé de mission au Parc naturel régional du Perche, territoire historiquement connu pour la culture du chanvre textile, ce dernier avait étudié la faisabilité d’une filière locale de chanvre destiné au bâtiment. Aujourd’hui, la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) compte 85 sociétaires, répartis dans sept collèges où agriculteurs, artisans, clients bénéficiaires, partenaires et salariés sont tour à tour représentés. Objectifs ? Promouvoir « une écoconstruction écologique, performante, accessible à chacun et ancrée sur les territoires », tout en développant des filières d’écomatériaux locaux.

Ligne de fabrication autoconstruite

Sans matériel ni expérience pour transformer le chanvre, « le groupe est parti de rien, se souvient Alexandre Cealis. Antoine a rencontré Philippe Lambert, un agriculteur qui cultivait encore du chanvre pour une filière très spécialisée, hors bâtiment. Très bon mécanicien, ce dernier a commencé à imaginer un équipement autoconstruit pour séparer la fibre de la chènevotte ». Challenge corsé : « Trier du granulat léger dans de la fibre n’est pas simple, d’autant que la fibre du chanvre est longue et très solide, et risque donc de provoquer des bourrages. » 

Les Normands cherchent alors l’inspiration chez leurs homologues des Chanvriers du Mellois, dans les Deux-Sèvres. Cette association fait partie de Chanvriers en circuits courts, un collectif de développement de « micro-filières locales de production de chanvre fermier pour l’écoconstruction » auquel adhère dorénavant Eco-Pertica. Antoine Elleaume et Philipple Lambert assemblent alors plusieurs moissonneuses-batteuses pour construire une ligne d’où sortiront les différents types de chènevotte et les bottes de paille de chanvre. La coopérative élabore également des outils pour les artisans et les autoconstructeurs : une souffleuse pour projeter des mélanges terre-chanvre, une autre pour la laine de chanvre.

En parallèle, la Scic promeut la vertueuse plante auprès des artisans, des particuliers et des collectivités. « Soirées d’information, visites de chantiers… La sensibilisation a d’emblée été le deuxième pilier de notre action », poursuit Alexandre Cealis.

Acteur de la recherche locale et nationale

L’activité d’Eco-Pertica s’enrichit encore avec l’arrivée d’un chercheur en matériaux, Arthur Hellouin de Menibus, qui ouvre en 2015 un volet recherche et développement…


Travaux : Isoler en bottes de chanvre

BOTTES DE CHANVRE

Le chanvre : Un produit local et sans additif

Le chanvre met un pied dans le monde des isolants en botte avec l’initiative pionnière de la coopérative normande Eco-Pertica.

Jusqu’à présent, la laine de chanvre utilisée comme isolant était connue pour une application en vrac et en soufflage. La coopérative ornaise Eco-Pertica propose désormais ce matériau sous forme de bottes, plus faciles à mettre en œuvre (80 x 60 x 25 cm, 0,046 W/m.K, masse volumique 70 kg/m³). Membre de l’association des Chanvriers en circuits courts, elle développe depuis dix ans une filière locale de chanvre destiné au bâtiment. 

Offrant sensiblement les mêmes qualités d’isolation thermique et acoustique, de tenue au feu et de perspirance que les panneaux industriels de laine de chanvre, les bottes d’Eco-Pertica présentent l’avantage d’une moindre consommation d’énergie grise, car elles sont peu transformées et indemnes d’additifs d’origine pétrochimique. 

Cloisons et plafonds

Mais dans l’exemple ici développé, elles ont été choisies pour la rénovation d’une grange où vont se côtoyer un espace de vie et un atelier professionnel. Dans ce même projet, elles ont été employées dans les cloisons de séparation intérieures et pour l’isolation sous rampants d’une partie de la toiture. 

Aujourd’hui disponibles dans un rayon de 60 km maximum de leur lieu de production normand, les bottes de chanvre pourraient toutefois essaimer et motiver d’autres producteurs de chanvre fermier à proposer le même produit.


Dossier : Isolants des champs, isolants résilients

DOSSIER ISOLANT RESILIENTS

La nouvelle réglementation RE2020 est de bon augure pour les isolants biosourcés.

Va-t-on enfin plonger dans un monde où chaque territoire saura tirer parti de ses ressources végétales, où le circuit court sera roi et où les paysans et les artisans travailleront main dans la main ? Aux quatre coins du pays, des filières émergent et inventent peu à peu ce monde résilient.

Les biosourcés ne représentent que 10 % des ventes d’isolant en France. Mais avec +87 % de volume vendu entre 2016 et 2020, ils pourraient bien prendre enfin la place qu’ils méritent. Ouate de cellulose, laine de bois ou de mouton, textile recyclé, la famille est grande. Mais le marché des isolants provenant de cultures végétales est encore discret. Pourtant, la France est championne européenne des agromatériaux et, depuis une vingtaine d’années, associations et artisans les (re)mettent au goût du jour. Les atouts de la paille, du chanvre, des balles de riz et de toutes sortes de végétaux en font des matériaux d’avenir. Selon l’Ademe, les laines végétales transformées sous forme de panneaux pourraient même représenter 13 % du marché des isolants en 2030. Encore faut-il des moyens, de la volonté et un changement d’habitudes pour dessiner ce futur réjouissant