Dossier : Ils vivent low-tech



Gagner en autonomie, se réapproprier des savoirs, par souci écologique, sanitaire ou économique, créer du lien ou relocaliser, les raisons d’utiliser des low-tech au quotidien convergent vers du vivre mieux avec moins et interrogent notre dépendance aux ressources et à l’énergie. Rencontre avec cinq familles et bricoleurs qui ont adopté au moins un équipement low-tech.

L’entrée de l’écolieu est marquée par un panneau qui en porte le nom, « EchoVert », surmonté d’un motif d’escargot. À son pied, un caisson pentagonal en bois et polycarbonate. Deux objets représentatifs de ce lieu de vie collectif niché dans le Gard. Le premier rappelle son histoire : quand ils l’ont créé en 1997, Bruno et Anne Lorthiois projetaient de pratiquer l’héliciculture, l’élevage d’escargots comestibles. Le deuxième évoque tous les outils autonomes qu’ils ont inventés pour satisfaire eux-mêmes leurs besoins, notamment énergétiques. En l’occurrence, le « CESS » : chauffe-eau solaire simplifié (voir Cahier pratique dans notre hors-série n° 12). Depuis 2018, ce dernier alimente d’avril à octobre, sans électricité, deux douches extérieures dans de jolis cabanons en bois.

Sous son couvert en polycarbonate, il contient deux cylindres.
« Deux anciens cumulus électriques, précise Bruno. On les a déshabillés de leur tôle et de leur couche isolante pour ne récupérer que la cuve centrale. Puis, on les a peints en noir pour capter les rayons du soleil. » Défait de la pompe de circulation, du liquide anti-gel, de l’électronique, le CESS fonctionne par chauffe directe de la masse d’eau dans les ballons. 450 l précisément. Pour maintenir la chaleur, ils sont insérés dans un caisson en bois isolé avec 10 cm de laine de bois. Pour augmenter la captation solaire, le caisson est fixé sur un support incliné à 45° face au sud et recouvert par deux pans de polycarbonate qui forment un angle à 30° orienté est-ouest. Dans la joue basse du caisson, les branchements : l’arrivée d’eau froide du réseau et la sortie d’eau très chaude, direction les douches équipées d’un mitigeur classique. 

0 électricité, 0 panne

« On a déjà été 15 bénévoles à se doucher sans manquer d’eau chaude », témoigne Olivier, un des trois bénévoles permanents du lieu. Question aussi d’organisation : « Idéalement, on se répartit entre le matin et le soir pour que l’eau ait la demi-journée pour chauffer. »

Le système a été optimisé depuis le prototype fabriqué il y a 10 ans. Ce dernier avait un ballon unique et une couverture de polycarbonate plate. « Je l’ai démonté parce que je voulais voir les points d’usure. Après quatre ans de fonctionnement, le ballon était tellement en bon état que je l’ai réutilisé pour l’actuel CESS », sourit Bruno. Il a seulement retiré une petite poignée de calcaire en poudre déposé au fond. « La raison pour laquelle les gens se débarrassent de leur cumulus est l’entartrage de la résistance électrique qui bloque le transfert de chaleur vers l’eau. Ici, l’eau est très dure mais comme on n’utilise pas la résistance, le cumulus ne tombe jamais en panne. » L’appoint électrique des cumulus sauvés de la déchetterie est toutefois détartré et conservé, au cas où.


Low-tech Enquête : Produire son gaz de cuisine, la recette de Picojoule

Produire son gaz de cuisine, la recette de Picojoule

Lorsque la flamme bleue lèche le brûleur de la gazinière de Picojoule, il vient rapidement au nez l’odeur d’un imminent festin.

Ici, pas d’énergie fossile, pas d’extraction ni d’acheminement par gazoduc ou navires méthaniers émettant des gaz à effet de serre (GES). Pas de dépendance à un système économique et géopolitique guerrier(1). Près de Toulouse, cette association au nom inspiré d’une petite unité d’énergie, expérimente la méthanisation domestique. Un processus de transformation, par fermentation, de matières organiques en biogaz. Ce dernier se compose d’environ 60 % de méthane (CH4), bon combustible, de 40 % de CO2, inerte, et d’un peu de sulfure d’hydrogène (H2S). À la fin du processus, reste le digestat – les déchets non transformés en biogaz –, un puissant fertilisant pour le sol. « La méthanisation est un cercle vertueux de la matière », résume Félix Dupuy, ingénieur d’études à l’association.

Adapter le système à notre climat

Chez Picojoule, deux types de méthaniseurs sont testés : continu et discontinu. Le premier « s’alimente quotidiennement avec des épluchures et des restes de repas et produit du gaz tous les jours », explique Félix. D’un côté, le fût est relié à un évier broyeur par lequel transitent les déchets de cuisine. De l’autre côté, le digestat est évacué en sortant naturellement par vase communicant. Le second méthaniseur « se remplit en une fois, avec une grosse quantité de matière plutôt fibreuse, comme le contenu de toilettes sèches, et de l’eau. Il a une courbe de production en cloche de quatre à six mois et s’arrête naturellement. On le vidange, puis on le relance ».

Dans les deux cas, « un fût n’est rempli qu’à 90 % de sa capacité pour laisser 10 % de ciel gazeux où se forme le biogaz ». Une fois produit, le gaz est stocké dans un ballon tampon, puis acheminé jusqu’à la gazinière par une série de tuyaux, passant par un piège à eau et un filtre adapté au H2S (voir p. 65).

La méthanisation domestique est utilisée dans la Chine rurale depuis le début du XXe siècle, dépourvue de réseaux centralisés. Elle s’étend désormais jusqu’en Amérique latine. L’industrie s’est emparée du sujet pour créer des produits prêts à l’emploi, comme les marques chinoise Puxin et israélienne HomeBioGas, dont la vente est assurée en France par la société Biogaz Maison. Picojoule s’en est inspirée pour optimiser ses propres modèles. 

En France, « il fait trop froid une partie de l’année pour le bon fonctionnement d’un méthaniseur sous sa forme classique, pointe Félix. L’activité des bactéries exige une température intérieure des méthaniseurs entre 20 et 55°C. Il nous faut donc les isoler, voire les chauffer en hiver avec une énergie renouvelable comme le solaire thermique ». Ainsi, l’association produit au moins 150 l de biogaz par jour, soit 1 h de cuisson à feu moyen, avec environ 3 kg de déchets. Si le gaz n’est pas utilisé quotidiennement, il peut être provisoirement stocké dans un ballon tampon, ou de manière plus longue « comprimé à 10 bars dans d’anciennes bouteilles de butane de 30 l ». 


Se chauffer grâce au biogaz

Se chauffer grâce au biogaz

Se chauffer avec nos déchets

Nos poubelles débordent, pourquoi ne pas utiliser nos déchets pour nous chauffer ? Si le concept est séduisant, il reste complexe à concrétiser à l’échelle individuelle, sous les latitudes françaises. Mais pourquoi pas en collectif…

Recycler ses déchets et se chauffer. En théorie, ces deux notions se complètent bien grâce à la méthanisation. Les biodéchets sont placés dans une cuve (méthaniseur) qui, en l’absence d’oxygène, produit un gaz inflammable, essentiellement composé de méthane. On pourrait donc se servir de nos déchets fermentescibles (épluchures, restes alimentaires, tonte de pelouse…) pour chauffer l’eau de nos radiateurs.

C’est l’esprit du système Jean Pain qui, quant à lui, consiste à emmagasiner du compost humide et récupérer la chaleur qui s’en dégage, sans production de gaz. Pierre1911, un bloggeur touche-à-tout engagé dans l’autonomie, l’a testé. Il a collecté 20 t de bois vert(1) autour de chez lui (environ 30 m3) et les a broyés. Il en a ensachés, puis disposés en cube, en plein air dans son jardin. Au centre, il a ensuite alterné les couches de broyat et les tuyaux d’eau et a ajouté du fumier de chèvre pour accélérer le processus. Les tuyaux ont été raccordés au système de chauffage central. Le réacteur est monté à plus de 50°C et a permis de chauffer trois pièces à 18°C durant quatre mois d’hiver.