Docteur Janco et Mister Vici
Qui a dit : « Envisage-t-on seulement d’interdire le pastis ou le whisky, qui font bien
plus de morts que les centrales nucléaires ? » Ou encore « Les gens ont plus peur des cen-trales nucléaires que des piscines. Pourtant, les piscines tuent bien plus ». Desproges ? Le capitaine Haddock ?
Hélas non, c’est un « expert de l’énergie ». Lequel a aussi déclaré : « Du point de vue des écosystèmes, et ce n’est pas du tout de l’ironie, un accident de centrale est une excellente nouvelle, car cela crée instantanément une réserve naturelle parfaite ! » Les suppliciés de Tchernobyl et les évacués de Fukushima ignoraient être des bienfaiteurs de la biodiversité. Ceci dit sans ironie, bien sûr.
Inutile de vous noyer avec d’autres sidérants aphorismes, vous aurez reconnu dans ces saillies l’omniscient Jean-Marc Jancovici, alias JMJ, adulé par ses fans, courtisé par les médias et nombre de dirigeants du CAC 40.
Mais sa défense du nucléaire ne serait que pathétique si elle ne s’accompagnait pas d’énormités factuelles sur les énergies renouvelables, systématiquement minorées, déformées, voire ignorées. Deux exemples parmi les dizaines publiés sur son site. « Le photovoltaïque est plutôt aux alentours de 50 g de CO2 par kWh électrique (hors stockage), parce que fondre du silicium de qualité électronique est très gourmand en électricité. »(1) Sauf que le photovoltaïque exige une qualité… dix mille fois moins exigeante en pureté que le silicium électronique, ce qui explique en partie que le coût du PV a été divisé par dix(2) quand, dans le même temps, celui de l’EPR de Flamanville était multiplié par six selon la Cour des comptes(3).
Deuxième exemple : « Il faut jucher une éolienne off-shore sur un pylône ancré sur le fond de la mer (on ne peut pas mettre l’éolienne sur un flotteur). »(1) Étrange myopie : des éoliennes off-shore flottantes sont déjà implantées dans cinq pays(4) et leur potentiel est estimé au sein de l’Union européenne à 150 GW en 2050, soit 1,5 fois l’actuel parc nucléaire européen.
Médiatiquement efficace, la méthode Janco est toujours la même. Énoncer sur un ton docte et impératif « il faut savoir que… » ou sa variante « vous devez comprendre que… ». Puis, choisir une image édifiante qui parle à tous, facile à reprendre dans les repas de famille : le train de 8 h qui ne partira pas un jour sans vent(5), la biomasse qui va désertifier l’Europe(1), l’argent mis sur l’éolien qui ne servira qu’à nous précipiter vers les ennuis(1), etc. Frisson garanti. Puis, noyer l’auditoire dans des chiffres(6), toujours assortis d’un calcul de coin de table.
Tel Janus, JMJ a donc deux visages, l’un tourné vers l’avenir et l’autre vers le passé. Le premier parle avec pédagogie et conviction du climat, de sobriété et d’efficacité énergétiques. Je suis le plus souvent en accord avec cette partie de son discours, même si la forme manque d’humilité et d’autocritique qui sont la marque des vrais passeurs d’idées.
L’autre face est doublement tournée vers le passé. Les renouvelables sont toujours évaluées à l’aune de leurs coûts et performances d’il y a 10 ou 20 ans, comme si l’on pouvait imaginer notre futur énergétique à partir d’une photo jaunie et non du film de leur dynamique progression. Et le nucléaire est magnifié avec nostalgie et une absence totale de recul critique.
Sur le climat et le gaspillage énergétique, le Docteur Janco nous alerte avec charisme. Son mauvais génie, Mister Vici, le lui sabote.