Au Qatar, lors des derniers Mondiaux d’athlétisme, le stade Khalifa de Doha était climatisé. Une gigantesque enceinte à ciel ouvert, sous un soleil de plomb et 40 °C à l’ombre, une invraisemblable gabegie énergétique. Ah, ces Qatari et leurs fichus pétro-dollars ; pas chez nous qu’on ferait d’aussi extravagants gaspillages…
Vraiment ? De plus en plus de terrasses de cafés et brasseries sont chauffées en hiver, attirant une clientèle ravie d’échapper aux rigueurs hivernales. Attardons-nous sur l’une d’entre elles, chauffée au gaz propane. 5 m de large sur 15 m de long, munie de cinq braseros chauffant chacun 15 m2, astucieusement nommés par leur fabricant « parasol chauffant ». Des parasols… Sous le bitume, la plage, une douce chaleur bienfaisante. On en commanderait presque un Pastis en se tartinant de crème solaire !
Installons-nous en terrasse et sortons les calculettes
Chaque parasol-brasero délivre une puissance thermique de 8 kW. Supposons que l’établissement les mette en marche de mi-novembre à mi-mars, de 8 h à 22 h, soit durant 14 h par jour, et qu’en moyenne ils rayonnent à 75 % de leur puissance maximale. Quelle est la consommation en propane de cette plage aux parasols… pardon, de cette terrasse chauffée ?
Réponse : 50 400 kWh par hiver, avec en prime 13,7 t de gaz carbonique émis dans l’atmosphère* ! L’équivalent des émissions d’une berline neuve roulant 122 000 km, trois fois le tour du globe terrestre à l’équateur. Gloups… Le café-croissant a soudain un méchant goût de carbone.
Mais, objecterez-vous avec raison, certaines villes ont interdit l’emploi du gaz en terrasse. Transportons donc notre terrasse à Paris, où les édiles ont voté une telle interdiction dans un règlement définissant l’usage des 22 000 terrasses, vérandas et contre-terrasses parisiennes, symboles s’il en est du charme de Paname. Ici, pas de braseros au gaz, mais dix rampes murales à infrarouges rayonnant chacune une puissance de 2 kW. Pour un même type de terrasse et d’utilisation, la consommation électrique hivernale s’élève à 25 200 kWh. Soit la consommation annuelle en électricité (hors chauffage et eau chaude) de neuf familles ou en énergie primaire… 1 000 kWh/m2** ! Et si la moitié des terrasses de Paris sont pareillement chauffées, leur consommation électrique hivernale est égale à celle des habitants de deux arrondissements de la capitale pendant un an…
Petits joueurs…
Petits joueurs, finalement, les stades climatisés du Qatar face à nos fières terrasses chauffées made in France. Alors, faut-il résolument les interdire ? Oui, à l’évidence. Mais ce serait, pour une municipalité, renoncer à de juteuses surtaxes frappant les cafés ; pour les cafés, voir fuir les clients fumeurs ; pour les fumeurs – qui sont aussi électeurs –, l’occasion de dénoncer avec virulence l’écologie punitive de la municipalité.
Chacun se tenant ainsi par la barbichette, que faire ? Prendre acte que réchauffer l’air d’une terrasse en hiver est tout aussi aberrant que de climatiser un stade à ciel ouvert. Courageusement, interdire toute terrasse chauffée comme déjà à Rennes ou bientôt à Namur.
Et être un peu sobre et malin : distribuer aux clients de jolis plaids en pure laine, comme sur le pont d’un transatlantique. Avec, pourquoi pas, une option « king size » pour couple d’amoureux, afin que la terrasse frisquette devienne délicieusement brûlante !
Billet d’humeur de Thierry Salomon
paru dans La Maison écologique n°115, sortie en kiosques fin janvier 2020
* 14 h x 120 j x 5 braseros x 8 kW x 75 % = 50 400 kWh. Le propane émet 271 gCO2/kWh. émission moyenne voiture neuve en France en 2018 : 0,112 kgCO2/km.
** Consommation électrique spécifique d’un ménage : 1 250 kWh/pers x 2,3 pers = 2 875 kWh/an. Consommation énergie primaire/m2
de terrasse chauffée : 25 200 kWh x 2,58/75 m2 = 867 kWh(ep)/m2.an avec un coef Ep/Ef réglementaire de 2,58 et 1 008 kWh(ep)/m2.an en prenant un coef Ep/Ef de 3,0 plus proche de la réalité.