
Aujourd’hui, en France, les éoliennes dites Piggott sont implantées chez plus de 150 foyers. Ces petites éoliennes sont des équipements rustiques mais performants, et spécialement pensées pour les autoconstructeurs. Rencontres avec les principaux protagonistes.
Enquête d’Augustin Legrand, publiée dans le magazine La Maison écologique n°86 en avril 2015
Permettre à chacun d’assouvir sa volonté d’émancipation énergétique, en lui apprenant à concevoir sa propre éolienne. C’est le pari un peu fou, relevé il y a vingt ans par Hugh Piggott. Ce paysan écossais, non raccordé au réseau, était lassé de sa lampe à pétrole. Après plusieurs tentatives, il prouve la faisabilité et la fiabilité d’une petite éolienne autoconstruite. Elle est fabriquée à l’aide de matériaux et de composants mécaniques dénichés chez des grossistes. Aujourd’hui, six modèles sont proposés à partir de ses plans. Ils vont d’1,20 m de diamètre (200 W nominale) à 4,20 m (2 kW nominale), pour des hauteurs de mât le plus souvent comprises entre 12 et 24 m. De vraies petites machines capables de produire de l’électrique à partir de vents de seulement 3 m/s. Tout comme les éoliennes industrialisées !
De 350 à 1500 € pour une éolienne
Les prix du matériel pour fabriquer ces éoliennes varient de 350 à 1 500 €. Un petit investissement auquel il faut ajouter un important dispositif de gestion électrique (ponts de diodes, onduleurs, batteries, compteurs, régulateur de charge…). Et un local technique dédié. La facture totale grimpe entre 2100 et 7300 €, voire 11000 € pour les plus grandes. Le coût est variable selon le parc de batteries. Un certain budget reste donc nécessaire, d’autant que ces appareils ne sont pas subventionnés. Et si le marché du petit éolien (inférieur à 36 kW) a généré différents produits, dont des modèles d’éoliennes domestiques (inférieurs à 5 kW), les éoliennes Piggott sont les seules conçues pour l’autoconstruction.
La philosophie Piggott : se réapproprier l’énergie
Le réseau international Wind-Empowerment, regroupant une quarantaine d’acteurs (associations, ONG, entreprises) s’est créé autour du développement de ces éoliennes. Depuis 2004, en France, Tripalium accompagne Hugh Piggott dans sa démarche. La trentaine de membres actifs de ce réseau appartient à des associations telles qu’Aezeo (Bretagne), l’Atelier du soleil et du vent à Lusignan (Poitou-Charentes) ou à des sociétés spécialisées dans l’éolien comme Ti’éole (Drôme).
« Le cœur même de la philosophie Piggott est de démontrer qu’il est possible de se réapproprier l’énergie. Que cette réappropriation est accessible à tous, explique Jay Hudnall, gérant de Ti’éole et membre fondateur de Tripalium. Nous consommons de l’énergie à profusion. Sans même savoir d’où elle provient, comment elle fonctionne ou sans avoir conscience du travail qu’il a fallu pour la fabriquer. Notre démarche est à la fois écologique et pédagogique. Chaque stagiaire peut également, s’il le souhaite, devenir formateur à son tour en assistant à plusieurs sessions. De cette façon, le savoir-faire passe facilement de mains en mains. » De 14 curieux en 2004, ils sont passés à 200 en 2014, soit environ 1 200 stagiaires au total. Parmi eux, plus de 150 ont franchi le pas d’installer une éolienne et environ 50 sont devenus formateurs à leur tour.
Petite éolienne entre simplicité…
« Je suis un vrai bricoleur et je me suis rendu compte que chaque élément de l’éolienne a été pensé pour être extrêmement simple à fabriquer, note Bruno Lorthiois, président de l’association Alter’Eco 30, à Vauvert dans le Gard. Par ailleurs, tout ce que l’on apprend durant le stage, qu’il s’agisse du travail du bois, du métal ou de l’électricité, peut servir dans la vie de tous les jours. » Les composants de ces éoliennes à axes horizontaux ne varient guère de leurs cousines industrielles. La première différence notable réside dans les trois pales. Toujours en bois léger comme le douglas, le cèdre rouge ou le pin d’Oregon, alors que celles des versions industrielles sont en fibre de verre. « Il s’agit d’essences naturellement résistantes aux intempéries. Nous les protègeons simplement avec un traitement à l’huile de lin », précise Jay Hudnall.
La seconde différence réside dans l’absence d’électronique pour contrôler la direction et la vitesse de l’éolienne hormis un éventuel anémomètre, comme l’indique Guillaume Henry, formateur à l’Atelier du soleil et du vent. « Le fait que tout soit mécanique implique une très grande facilité de maintenance. Alors que les machines industrielles peuvent devenir inutilisables beaucoup plus facilement qu’on ne le pense. Grâce à un peu d’huile de coude, une Piggott a une durée de vie d’une trentaine d’années voire bien plus. Puisque le client a participé à sa fabrication, il sait exactement comment l’entretenir. »
Basé dans le sud de la France, Serge, un particulier engagé contre l’énergie nucléaire, a construit une éolienne Piggott de 3 m de diamètre (700 W) en 2005. Et depuis dix ans, il n’a effectué que très peu de maintenance. « J’ai changé le moyeu central en 2008. Et je m’apprête à renouveler le jeu de pales. Je suis très satisfait de la fiabilité de cette machine ».
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Une conception participative et indulgente
« L’éolienne Piggott, c’est l’histoire de la personne à qui l’on apprend à pêcher plutôt que de lui vendre du poisson ». Bernard Lagrange, stagiaire en 2012 auprès de l’Atelier du soleil et du vent.
Organisés en moyenne une fois par mois, dans toute la France, les stages d’une semaine accueillent entre 10 et 20 personnes, bricoleurs confirmés ou non. « J’avais quelques notions en électricité. Mais je ne savais ni souder ni même scier », confirme Mélanie, stagiaire en 2007. Car, l’un des piliers de l’autoconstruction Piggott est ” la conception indulgente “, selon laquelle aucune erreur n’est fatale et, qu’au contraire, elle doit être partagée pour faire progresser le collectif.
« Une bonne part de la philosophie transmise par ces stages est celle de l’appréhension de l’erreur, indique Thomas Plassard. Il est formateur et membre de Tripalium. Toute la vie en société, que l’on soit en milieu scolaire ou professionnel, est basée sur une obligation d’être infaillible. La philosophie Piggott incite au contraire à partager ses erreurs. Car elles sont finalement des ressources indispensables dans la dynamique de recherche. » Après un éclairage théorique, les stages s’articulent autour de trois ateliers : bois, métal et électricité. Chaque atelier dure une demi-journée. Chaque stagiaire peut passer de l’un à l’autre. Taillage et équilibrage des pâles en bois, fabrication et mise en place du rotor et du stator, soudure des pièces, résinage… Les stagiaires font tout de A à Z : un partage bref et intensif d’une expérience collective !
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…et performance
Catherine et Patrick Chevalier Jaoul ont installé une éolienne de 3 m de diamètre pour leur gîte dans le Poitou. « Sa puissance est de 1 000 W et elle produit en moyenne 1 643 Wh/jour. Couplé à des panneaux photovoltaïques produisant 1 000 Wh/jour, le tout couvre bien nos besoins. Les excédents de certaines journées sont stockés en batteries pour être utilisés plus tard », précise Catherine. Capable de couvrir une partie ou la totalité des besoins en énergie d’un foyer (hors chauffage), la plupart des éoliennes en sites isolés sont installées en complément de systèmes photovoltaïques et d’appareils de chauffage au bois.
« Il y a trois ans, j’ai couplé une éolienne de 350 W avec un petit panneau photovoltaïque de 100 Wc et un petit chauffage au bois pour l’hiver. Une combinaison parfaite pour ma yourte qui me permet d’être parfaitement autonome » détaille Sébastien Baudry, un ancien électricien. Contrairement aux idées reçues, très peu de matériaux sont récupérables, surtout pas les alternateurs et batteries de voitures. Les éoliennes Piggott non raccordées au réseau possèdent des batteries à décharge lente. Leur durée de vie peut atteindre vingt ans, pour une autonomie de trois à cinq jours en l’absence de vent.

Histoire de mâts
Il existe ensuite plusieurs types de mâts : autoporteur, haubané, treillis. Le mât haubané, dont l’installation se fait par basculement, est le plus courant. La raison : il est peu cher et simple à manœuvrer. « Il est facile de descendre la tête de l’éolienne à l’aide d’un simple tirfor, assure Guillaume Henry. C’est à faire une fois par an, pour remettre une couche d’huile de lin et regraisser les roulements. Ça évite toute nuisance sonore. Il faut aussi vérifier l’entortillement du câble à l’intérieur du mât. » Le reste de l’ossature de l’éolienne se compose d’une nacelle qui pivote autour du mât fabriqué à l’aide d’un tube en acier, d’un moyeu pour la rotation de l’hélice et des rotors aimantés. On trouve également le safran, gouvernail qui oriente la machine face au vent et permet sa mise “en drapeau” (arrêt de sécurité).
De l’importance du choix du site
Malgré leurs tailles réduites, les éoliennes Piggott exigent un site d’installation suffisamment conséquent. Au moins 72 m2 pour les mâts de 12 m. Et de préférence en zone rurale comprenant peu d’obstacles (bâtiments, arbres). Il faut aussi prévoir un petit local technique d’au moins 2 m2. En outre, l’éolienne doit être située à bonne distance du local et de la maison, pour éviter les déperditions dans les câbles. « Les plus grands modèles doivent être placés au maximum à 40 m de chez soi et au minimum à 80 m du voisin le plus proche », indique Jay Hudnall.
Selon la région, ventée ou non, et la hauteur de mât, la production peut varier de un à dix. Les mâts de 18 et 24 m sont les plus recommandés. À défaut, un mât de 12 m peut être productif en bord de mer ou bien positionné sur un coteau. C’est cette formule qu’a choisi Sébastien Baudry. « Grâce à mon modèle de 350 W, j’alimente des lampes LED, un ordinateur portable ou encore une machine à coudre. Des petits appareils qui correspondent aux capacités de l’onduleur de 300 W. L’autoconsommation nécessite de ne pas être trop gourmand en électricité. Mais en période assez venteuse, l’éolienne est capable de produire un peu de surplus. Il sera alors injecté gratuitement dans le réseau. »
Raccorder son éolienne au réseau, une bonne idée ?
Les éoliennes peuvent effectivement être raccordées au réseau, notamment pour la vente du surplus de production. Mais le tarif de vente est très bas, compris entre 2,8 et 8,2 c€/kWh selon les sites. Dans le cas d’habitations isolées, l’électricité est stockée dans des batteries. Elle est ensuite réutilisable pendant les périodes non ventées. « La vente du surplus est rare, car non rentable. Le prix de vente des électrons éoliens ne peut pas concurrencer celui du photovoltaïque, à 27 c€/kWh, prévient Thomas Plassard de Tripalium. Mais des économies sont possibles dans tous les cas. Il faut par exemple repenser l’ensemble de ses consommations, en les adaptant aux horaires de production.
Il faut également diminuer ses besoins grâce à des appareils peu gourmands. » Détenteur d’une éolienne de 3,60 m de diamètre (1 500 W) raccordée au réseau depuis plus de deux ans, Camille Marteil a, grâce à quelques précautions, vu sa facture d’électricité passer de 70 à 23 € par mois. Soit une économie de près de 70 % ! « L’éolienne tourne en permanence. Mais je fais fonctionner le gros électroménager, comme le lave-linge, durant les périodes très ventées. L’important étant d’être bien attentif à la météo », conclut-il.
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A savoir
• Pour connaître l’énergie récupérable en kWh, il faut multiplier la puissance par le temps de fonctionnement. Si l’éolienne produit 300 W pendant 2 heures, l’énergie récupérée sera de 600 Wh.
• L’éolienne produira d’autant plus si elle est bien entretenue et bien positionnée. Banissez la pose en toiture toit ou juste derrière un bâtiment. Préférez une hauteur de mât suffisante, calculée selon les conditions de vents locaux.
• Faites fonctionner vos appareils électriques autant que possible pendant les heures les plus ventées de la journée. Astuce : utilisez des programmateurs.
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